Bilan n° 120 du 28 septembre 2025 (guerre d’Ukraine)
La progression russe se poursuit lentement. Les Mig 31 en Estonie et les drones au-dessus du Danemark indiquent un test russe de la résolution européenne alors que Trump a lâché l’Ukraine.La progression russe se poursuit lentement. Les Mig 31 dans l'espace estonien et les drones au-dessus du Danemark indiquent un test russe de la résolution européenne alors que Trump a lâché l’Ukraine.
Déroulé des opérations militaires
Les frappes dans la profondeur se poursuivent.
Front sud : Légère progression a nord de Plavni (carte). Sans changement à Orikhiv (carte). A Huliapole, les Russes s’approchent par l’est et le front de Grand Novosilka est désormais fusionné avec celui d’Huliapolie. Les Russes abordent désormais la rivière Yanchul, dernière coupure avant Houliapolie. Ils ont pris Novoivanivka, abordent Novohryhorivka, ont pris Novomykolievka et Kalyninske. Pas de changement dans la zone Berezove, Ternove, Khoroshe, Novoselivka (carte).
Un peu plus au nord, ils ont franchi la Vovcha au nord de Novokhartske et abordent Ivanivka par l’est (carte). Pas de changement sur le petit secteur de Novopavlivka qui relie à Pokrovsk.
Front de Donetsk : Au sud-ouest de Pokrovsk les Russes ont pris la totalité d’Udachne qu’ils agressaient depuis des mois (carte). Les infiltrations au sud de Pokrovsk se poursuivent (carte). Sans grand changement à l’est vers Myrnohrad (carte).
Au nord-est, la situation du saillant reste très confuse. Cela fait sept semaines que les Ukrainiens tentent de le réduire. S’ils ont éliminé la présence russe la plus au nord, l’incertitude prévaut pour Kucheriv Yar. Certaines sources marquent les Russes aux abords directs de Dorozehnie à l’ouest. Shakove est ukrainienne, zone grise à son sud-ouest (carte). Attaques et contre-attaques localisées se répondent. Les petits groupes et les drones s’activent et la notion de « contrôle du terrain » reste très aléatoire.
Front de Kostiantynivka : Situation inchangée au sud du réservoir (carte). Les Russes poussent à l’ouest d’Oleksandro-Schutyne. Les Ukrainiens se retirent de la zone à l’ouest du canal. Sans changement à Bakhmout (carte)
Front de Siversk : Si Deepstate donne Serebrianka toujours grise, elle paraît encerclée. Les premières unités russes sont au contact des faubourgs de Siversk (carte). Un peu plus loin, les Russes ont franchi la Zherebets et abordent les premières maisons de Yampil, ce qui menace la pénétrante vers Siversk. (carte)
Front de Svatove/Koupiansk. Les Russes ont pris Shandryholove et Derylove, menaçant Drobysheve et l’ouest de Lyman, point clef du secteur (carte).
Secteur de Pischane : Sans changement depuis plus d’un mois (carte)
Secteur de Koupiansk : Au-delà de l’Oskil, les Russes sont entrés dans Koupiansk (carte). Sans changement à l’est de la rivière (carte).
Secteur Dvorichna et Milove sans changement (carte).
Front de Kharkiv : PV n’a pas enregistré de mouvement à Vovchansk (carte) contrairement à Suriyak et autres osinters. Sans changement à Lyptsi (carte)
Front de Soudja : Qq ajustement pour l’Ukraine (carte), (carte synthèse du 28 septembre).
Analyse militaire
Je rappelle la remarque du bilan bimensuel précédent sur l’irrégularité des sources qui s’est accentuée, avec des disparités. Le travail des cartographe ROSO et des analystes s’est fortement compliqué. Deepstate paraît communiquer des informations très tardivement.
Les Russes ont pris 92 km² en S38 et 54 km² en S39 soit 10.4 km² par jour (légère hausse). Les Ukrainiens ont repris 4 km² en S38 et 4 km² en S39, soit 0.57 km² hebdomadaires (baisse).
La progression russe s’est donc maintenue à des niveaux assez bas. Cependant, elle témoigne soit de la préparation de sièges de villes importantes, soit d’une progression marquée. Du nord au sud, Koupiansk est en passe de tomber ; Siversk paraît en mauvaise posture, surtout si Lyman et Yampil sont attaquées ; le siège de Kostiantynivka se met lentement en place ; la situation paraît figée à Pokrovsk même si la chute d’Udachne risque d’entraîner des conséquences fatales. Mais c’est au sud que les choses bougent, à la limite des oblasts de Dniepropetrovsk et de Zaporijia. Les Russes poussent d’est en ouest et empiètent désormais clairement sur l’oblast du nord, prenant des localités au-delà de ce qu’ils revendiquent. Surtout, cette pression vise clairement à mettre la pression sur Huliapolie qui fut longtemps un des points clefs de la défense ukrainienne dans la zone du Sud : le bourg n’est plus qu’à 17 km du point russe le plus avancé. Elle vise également Pokrovske, nœud routier qui alimente Andrivka.
Il reste aux Russes 6333 km² à prendre dans l’oblast de Donetsk, 7176 dans celui de Zaporijia. Depuis le début de 2025, ils ont grosso modo pris 350 km² par mois. A ce rythme, il leur faudrait 38 mois environ pour conquérir les territoires qu’ils revendiquent. Trois ans…
Ce calcul est peu réaliste car il suppose une poursuite linéaire des combats. D’une part, ce n’est pas ce qui a été observé (il y a des variations de mois en mois et d’année en année) ; d’autre part, cela méconnaît la possibilité de ruptures d’un côté comme de l’autre.
Il reste que l’on peut s’interroger sur le ralentissement russe, surtout à l’heure où beaucoup pointent l’épuisement des ressources ukrainiennes et donc la remarquable résilience des forces armées de Kiev : compte-tenu du rapport de force annoncé, les pertes devraient être plus conséquentes. Plusieurs hypothèses sont alors envisageables :
- Les Russes s’épuisent aussi et malgré leur relative supériorité, compte-tenu de la nature des combats, ils ne sont pas en mesure d’une part de rompre le front nettement, d’autre part d’exploiter les percées qu’ils ont faites (exemple de Dobropilia). S’ils conservent un avantage relatif dans la guerre d’attrition, l’usure les touche aussi ;
- Les Russes sont « moins pressés » par le temps et s’attachent moins aux avancées territoriales car leurs calculs seraient différents : poursuivre la réduction à petit feu de l’armée ukrainienne et préparer méthodiquement les sièges à venir.
Mon avis : il s’agit un peu des deux.
Analyse politique
Après les drones de Pologne, la quinzaine a été animée par deux affaires (dont l’une encore en cours) :
- L’incursion de trois Mig 31 (transpondeur coupé) en limite de l’espace aérien estonien : l’affaire est suffisamment tangente pour permettre aux Russes de plaider l’erreur. Cependant, il n’y a à mon avis aucune ambiguïté : l’affaire a été voulue et constitue un test de la part du Kremlin.
- Le survol nocturne de plusieurs aérodromes et aéroports danois tout au long de la semaine. Constatons qu’aucun drone n’a été abattu et que donc officiellement on ne peut désigner l’auteur de ces actions. Leur répétition et le nombre de drones suggèrent cependant un acteur très organisé, donc probablement étatique. Les drones peuvent s’envoler de cargos navigant en mer du Nord ou en Baltique. Si évidemment les Russes sont les premiers suspects, il n’y a encore aucune preuve absolue. Notons cependant que si les deux premières incursions peuvent avoir causé la surprise, il est étonnant que les incursions suivantes n’aient pas permis à la défense aérienne danoise d’abattre au moins un de ces drones pour en savoir plus (d’autant qu’un drone aurait survolé le principal aérodrome militaire danois pendant plus de 50 mn). Cela démontre à tout le moins sinon l’impréparation, du moins la faible capacité de riposte des armées alliées à ce type de menaces émergentes (même si les drones n’ont causé aucun dégât et ne constituent pas des « attaques », contrairement aux déclarations de la Première ministre danoise). Cela suggère que nous ne sommes pas prêts et qu’il faut en tout état de cause accélérer notre effort d’équipement pour pouvoir réagir.
Ceci étant posé, qu’en déduire ?
Si l’on admet que ce sont les Russes (mettons de côté l’hypothèse d’une manipulation sous faux drapeau, que rien ne corrobore), cela signifie un test et un message. Le teste est évidemment opérationnel mais de suffisamment bas niveau pour ne pas nécessiter d’escalade. L’affaire est désagréable, témoigne d’une hostilité réelle qui est à la hauteur des déclarations des dirigeants européens et des 18 trains de sanctions qu’ils ont décidés contre la Russie. Bref, les Européens n’apprécient pas les Russes, le leur disent et ceux-ci ne nous apprécient pas plus et nous le disent également, non par des sanctions mais par ces tests.
Cependant, ces échanges d’amabilités n’expliquent ni le moment ni la répétition. Pourquoi cette succession de tests ? Pourquoi en cette fin septembre ?
Personne ne s’intéresse à cette question qui me paraît centrale. Il faut ici la mettre en regard d’une déclaration de D. Trump, cette semaine (ici), qui a d’abord été accueillie avec soulagement par les Européens et les Ukrainiens jusqu’à ce qu’ils la lisent réellement pour comprendre ce qu’elle signifiait vraiment. Certes, il commence par affirmer : « je pense que l’Ukraine, avec le soutien de l’Union européenne, est en mesure de se battre et de regagner son territoire dans sa forme originelle et peut-être même aller plus loin » ce qui mit un immense baume au cœur des soutiens de l’Ukraine. Il précisait aussitôt : « Avec du temps, de la patience et le soutien financier de l’Europe et en particulier de l’OTAN ». Précisons ici que les Américains assimilent souvent l’Europe à l’Otan… Bien sûr, il décrit ensuite la Russie comme un « tigre de papier ». Cependant, in cauda venenum, la fin du message est beaucoup plus ambiguë : « Poutine et la Russie sont dans une situation économique très difficile, et c’est le moment pour l’Ukraine d’agir. Quoi qu’il en soit, je souhaite bonne chance aux deux pays. Nous continuerons à fournir des armes à l’Otan pour que celle-ci en fasse ce qu’elle veut. Bonne chance à tous ! ». La façon de souhaiter « bonne chance » aux deux parties suggère qu’il les met à égalité et ne prend finalement partie pour aucune d’entre elle. Ensuite, il annonce clairement l’engagement des États-Unis : ils fourniront des armes à l’Otan, c’est tout. Autrement dit, quelle que soit l’amabilité des mots d’introduction, le constat est clair : Trump se désengage de la question ukrainienne. Elle constitue à ses yeux une affaire exclusivement européenne et il s’en débarrasse (pourvu que les Européens achètent des armes américaines, seule façon à son avis de proroger l’Otan, réduite à une centrale d’achat).
Autrement dit, c’est clair, D. Trump a lâché Kiev. Il ne bougera plus.
A cette aune, les tests russes de la semaine s’expliquent mieux. En suggérant la possibilité de l’escalade, en pointant les insuffisances militaires européennes, ils disent aux Européens qu’il est temps d’accepter la négociation.
Je reviens ici à l’hypothèse formulée dans mon dernier bilan : celle de négociations qui se poursuivraient en coulisse sans qu’on n’en sache rien. Le lâchage de Trump serait un événement majeur. Kiev se raccroche encore à l’appui européen, nécessaire mais insuffisant sur le terrain militaire. En défiant les Européens (qui sont d’ailleurs très divisés sur la question ukrainienne) et notamment les faucons, Moscou dirait ceci : « vous n’êtes pas prêts pour l’escalade, il est donc temps de tirer les conclusions de la situation internationale (fin du soutien américain) et militaire (difficultés ukrainiennes) et de ne plus pousser Kiev à poursuivre la guerre ».
Constatons ici que les réactions européennes ont été relativement discrètes. L’Union a certes évoqué un « mur de drones » qui serait en préparation depuis un an et dont il faudrait accélérer la mise en place : cela prouve en creux que les Européens sont loin d’être prêts et qu’un effort est absolument nécessaire pour être à la hauteur de ces nouvelles menaces. Mais si certains sonnent le tocsin, l’impression générale reste celle d’une certaine retenue dans les capitales européennes.
Observons enfin que la question ukrainienne intéresse de moins en moins l’opinion publique ce qui est une mauvaise nouvelle pour Kiev, que des négociations soient en cours ou pas.
OK