Bilan n° 117 du 10 août 2025 (guerre d’Ukraine)

Le dispositif ukrainien montre des signes de rupture localisés. Une voie diplomatique s’est ouverte : son succès est improbable mais il existe, ce qui est nouveau.
Bilan n° 117 du 10 août 2025 (guerre d’Ukraine)
SOurce Poulet VOlant (ici)

Déroulé des opérations militaires

Les Russes n’ont pas lancé la campagne massive de frappes dans la profondeur cette quinzaine. Elle était prévue la semaine dernière mais la visite de Witkoff et les pourparlers en cours avec les Américains ont probablement conduit Moscou à reporter cette attaque qui aura lieu (si elle a lieu) au plus tôt après le 15 août.

Front sud : Les Ukrainiens ont repris Kamianske (carte). Sans changement à Orikhiv (carte) et à Huliapole (carte).

A l’ouest de Grand Novosilka les Russes ont pris le village de Voskresenka (carte). Il n’y a presque plus de fortification ukrainienne au-delà.

Front de Donetsk : Au sud-ouest de Pokrovsk les Russes poussent vers Udachne (sans changement) tandis qu’on signale des infiltrations dans la ville (au sud) sans forcément de prise de contrôle des faubourgs. Au nord-est, les Russes ont passé la rivière et approchent de Rodynske (carte). Juste au nord de cette position, ils ont effectué un raid en direction du nord-ouest, les groupes de reconnaissances atteignant Zolotyi Kolodiaz et Kucheriv Yar, les groupes d’assaut prenant les hauteurs à l’est d’Ivanivka, face à Dobropilia et menaçant la route 05-14 qui lie cette dernière bourgade à Kramatorsk (carte). (cf carte en tête d'article)

Sur l’axe de la D20 au centre, les Russes sont entrés dans Poltavka et Rusyn Yar (même carte). Sans changement à Yablunivka ni à Oleksandro-Kalynove, les combats se passant à l’est et au sud. Au sud du lac, retrait progressif des Ukrainiens. Il ne reste aux Ukrainiens qu’une petite voie de sortie à l’est du lac (carte) avec une évacuation probablement prochaine.

Front de Bakhmout : Progression russe sur les hauteurs au nord de Chasiv Yar (carte). Secteur de Siversk : petite progression russe le long des étangs, au contact du môle défensif de Siversk proprement dit (carte). Progression russe significative dans la forêt de Kremina, au point d’aborder bientôt Serebrianka par le nord. La micro poche de Siversk est désormais fort réduite.

Front de Svatove/Koupiansk. Ouest Kreminna : les Ukrainiens ont repris un peu de terrain au sud de Torske désormais très isolé (carte).

Secteur de Pischane : petits progrès (carte)

Secteur de Koupiansk : Pas de changement à l’est de Koupiansk (carte). Au-delà de l’Oskil, les Russes abordent Koupiansk par le nord, de petits groupes de reconnaissance testant les faubourgs de la ville, d’autres la contournant par l’ouest (Nechvolodivka) (carte). Secteur Dvorichna et Milove sans changement (carte).

Front de Kharkiv : Sans changement à Vovchansk (carte) ni Lyptsi (carte)

Front de Soudja : Sans changement (carte), (carte synthèse du 4 août)

Cartes synthèse des lignes de front : Siversk, Bakhmout-Pokrovsk, Velyka, Huliapolje, du 21/7 et celles de Loupiansk du 20/7.

Analyse militaire

Les Russes ont pris 98 km² en S31 et 114 km² en S32 soit 15.1 km² par jour, en légère baisse par rapport à la dernière quinzaine.

S’il n’y a pas de grand changement apparent du dispositif, globalement stable (n’en déplaise à un commentateur qui me reprochait ce terme de stabilité) malgré l’effritement, la situation paraît néanmoins beaucoup plus compliquée pour les Ukrainiens en de multiples endroits. Plusieurs villes sont en mauvaise posture et sur le point de tomber : Koupiansk au nord, Pokrovsk/Mynograd au sud. De multiples groupes de reconnaissance s’infiltrent y compris dans les zones urbaines, pour cartographier les défenses adverses et éventuellement procéder à des coups de main. Dans ce cas, les Russes semblent jouer au chat et à la souris, préférant conserver des troupes ukrainiennes dans ces fortifications pour aller tester ailleurs. Au sud du dispositif, dans le secteur des trois frontières, les Russes semblent avoir atteint et par endroits dépassé les dernières lignes de tranchées ukrainiennes. Dans ce cas encore, pas d’exploitation immédiate mais la poursuite de la fragilisation générale de la ligne ukrainienne.

Ces opérations, peu spectaculaires, se font à coût limité puisque désormais, les Russes surpassent les Ukrainiens dans tous les compartiments : appuis-feux (ART et bombes FAB), drones (en qualité comme en quantité), infanterie, réserves.

Cependant, on observe depuis quinze jours un nouvel effort autour de Siversk et surtout de Torske. Les Russes semblent insister pour boucler la poche dans ce secteur et y refranchir la Zherebets, de façon à aborder à nouveau Lyman, au nord de Kramatorsk. Je crains qu’il ne faille bientôt reparler bientôt d’un secteur de Lyman, comme il y a trois ans.

Par ailleurs, depuis deux jours, une percée a eu lieu au nord de Myrnograd, qui a été avalisée par tous les analystes, notamment Deepstate. Les recos russes ont atteint les lisières du village de Zolotyi Kolodiaz, soit une avancée de 15 km. Cela flanque la ville de Dobropilla, 10 km à l’ouest et désormais dernier moyeu logistique qui approvisionne le Donetsk du nord (Kramatorsk mais surtout Kostantinyvka). A court terme, les Russes chercheraient à envelopper Siversk au nord, Kostantynivka au sud pour y fixer le maximum de troupes ukrainiennes (petites flèches). A plus long terme, on peut s’attendre à une grande manœuvre d’enveloppement visant à atteindre les pénétrantes logistiques qui mènent à Kramatorsk et Slaviansk (grandes flèches).

Qu’est-ce-qui permet d’élaborer ces perspectives ? Le sentiment que le dispositif ukrainien est de plus en plus friable, laissant de plus en plus de fissures et d’interstices. Les tranchées, même valorisées, ne servent pas à grand-chose si elles ne sont pas tenues : alors, elles laissent la place à des infiltrations de petits groupes ennemis.

D’ailleurs, notons un point un peu technique au passage : la distinction entre groupes de reconnaissance et groupes d’assaut me paraît un peu obsolète ; on a le sentiment d’une continuité entre l’infiltration et la prise de contrôle, la première coiffant l’objectif, la seconde nettoyant la zone, selon un dispositif en tiroir. Il est désormais trop systématique pour ne pas y déceler une adaptation à grande échelle des unités russes, organisées pour ces prises d’initiative ce qui suppose une subsidiarité nouvelle dans la culture stratégique russe. Nul doute que les lieutenants et capitaines aujourd’hui à l’œuvre sur le front acquièrent une expérience tactique qui sera durable.

Mais moins de tranchées, des drones moins efficaces et des pôles urbains moins nombreux pour servir de points d’appui : tout cela rend l’équation ukrainienne difficile.

Certains me reprochent mon pessimisme récurrent : constatons que depuis dix-huit mois (après l’incursion dans Soudja dont nous avons dit, dès le début, l’inanité et qui s’est révélée un piège) aucune initiative majeure ukrainienne, aucune innovation tactique réellement surprenante, aucun succès marquant n’a été constaté. L’armée ukrainienne tient remarquablement bien compte-tenu des conditions générales mais force est de constater qu’elle subit l’offensive russe depuis un an et demi. Elle n’a pu que gagner du temps, échangeant du terrain et des troupes pour cela. Ce temps gagné constitue en soi un succès, cependant très relatif tant on ne décèle aucune possibilité de rebond.

Un dernier point : l’accélération du volet politique poussera peut-être les FAU à lancer une offensive localisée en mobilisant les dernières réserves, de façon à influencer les négociations et prouver que « les Ukrainiens peuvent encore agir ». Il faudra rester très prudent dans les commentaires de cette éventuelle initiative, qui aura des motifs plus politiques que militaires. Si les Ukrainiens aveint eu la possibilité d’une initiative militaire en un point du front, ils l’auraient déjà lancée en début d’été.

Analyse politique

Et puis le terrain politique a bougé. Est-ce dû aux menaces de Trump, passant d’un ultimatum de cinquante jours à un autre de dix jours ? L’émissaire Witkoff est venu à Moscou, a échangé avec le maître du Kremlin et subitement, quelque chose a changé. Pourquoi ? Trois hypothèses.

Une interne. A Moscou, les discussions seraient âpres entre les économistes et les géopolitistes. Les premiers souhaiteraient que l’on en cesse là et que l’on passe à autre chose, en négociant de beaux accords avec les Américains et en négociant la fin des sanctions, ce qui permettrait une meilleure allocation des facteurs de production alors que la croissance est là (elle devrait baisser en 2025 à 1,6%, chiffre qui ferait rêver notre ministre de l’Économie). Les seconds voudraient aller jusqu’au bout pour prendre tout ce qu’il y a à prendre en Ukraine, celle-ci étant à leurs yeux perdante à moyen terme. Cette présentation est schématique car tout l’entourage de V Poutine est bien sûr en faveur d’une ligne stratégique de force. Mais il pourrait y avoir des modalités d’humeur, à défaut de parler de clans, encore moins de partis. VP voudrait gagner un peu de temps en ouvrant les négociations, manière de voir s’il ne peut pas concilier les deux.

L’autre hypothèse est externe : les offres américaines seraient suffisamment attirantes pour que Moscou aille tester la négociation, qui serait à ses yeux « crédible » (je répète : à ses yeux).

Une troisième hypothèse serait celle de la peur devant les sanctions. Elle est très improbable car le régime des sanctions n’a pas eu d’effet notable sur l’économie russe. En revanche (ce qui n’est pas incompatible avec les deux autres), Poutine peut très bien avoir voulu faire un geste envers D. Trump, lui offrir un succès (car d’autres négociations russo-américaines ont lieu simultanément) ce qui, accessoirement, permet de gagner du temps et donc d’avancer militairement.

Nous avons noté qu’en guise de bonne volonté, les Russes ont probablement gelé temporairement leur campagne de frappes dans la profondeur, sorte de trêve unilatérale que peu d’observateurs ont remarquée. Quels seraient les paramètres de la négociation ? D’après ce qui a été rendu public (selon les entourages) :

-        Primo négociation entre Américains et Russes, sans les Ukrainiens (et bien sûr sans les Européens). Le lieu de la rencontre sera en Alaska, territoire américain, jadis russe, se situant à l’opposé du lieu des combats.

-        Retrait préalable des Ukrainiens des zones qu’ils contrôlent encore dans les oblasts de Lougansk et surtout Donetsk (villes de Kramatorsk et Sloviansk incluses).

-        Cessez-le feu sur le reste de la ligne de front.

-        Ouverture de négociations sur les territoires, le statut de l’Ukraine et, même si ce n’est pas précisé, sa non-appartenance à l’Otan.

Les parties conquises par les Russes dans les oblasts de Zaporijjia et Kherson resteraient chez eux : c’est du moins ce qu’aurait compris la partie russe et peut-être pas l’émissaire américain (même si cette rumeur semble incroyable).

Quels sont les intérêts des uns et des autres ?

-        Pour les Russes : économiser du temps et des troupes pour conquérir la fin de l’oblast de Donetsk et ouvrir la voie à un règlement négocié où le gros de leurs revendications serait reconnu.

-        Pour les Américains : trouver une voie de compromis de façon à pouvoir dire : « on a tout tenté » et justifier un désintérêt total en cas d’échec, un triomphe diplomatique en cas de réussite.

-        Pour les Ukrainiens : Même si Zelensky a évidemment rappelé les objectifs (tous les territoires y compris la Crimée), avoir un cessez-le-feu qui lui permette de se remettre en condition, au cas où la guerre reprenne. Mais ce serait au prix d’un abandon radical, celui de l’oblast de Donetsk, même si les esprits les plus réalistes à Kiev savent que c’est inéluctable.

-        Les Européens font comme à leur habitude des déclarations, sans peser aucunement sur le conflit. Ce maximalisme surjoué ne doit pas être pris au premier degré : pour beaucoup de capitales, la messe est dite d’autant que l’opinion publique ne s’intéresse plus vraiment au conflit. Continuer à clamer son soutien à Kiev permettra de dire, le jour venu, « nous avons tout tenté ». Il y a une part évidente de duplicité dans ce rôle de composition.

Quelle est la probabilité de succès ?

A mon avis, faible. Elle dépend de la capacité de la direction ukrainienne d’accepter un tel revers et de le faire accepter à la population. Celle-ci commence à être fatiguée de la guerre mais posera certainement la question, le moment venu : « tout ça pour ça ? ». Dès lors, il est plus que probable que Kiev refuse les paramètres qu’on lui proposera, s’il s’agit bien de ceux exposés plus haut.

Mais le lecteur reconnaîtra là mon pessimisme atavique. Or, il faut toujours laisser une chance aux diplomates, capables de trouver les chemins les plus biscornus pour trouver des solutions forcément compliquées, grises, avec beaucoup d’ambiguïtés, mais qui permettent de mettre fin au conflit. Or, pour la première fois depuis les négociations d’Istanbul au printemps de 2022, il y a une voie diplomatique, ténue, qui s’est ouverte. Rien que ça permet un peu plus d’optimisme que d’habitude.

Précédent billet :

Bilan n° 116 du 27 juillet 2025 (guerre d’Ukraine)
La situation militaire ukrainienne parait de plus en plus précaire avec de premiers combats dans les faubourgs de Pokrovsk. Le pessimisme s’accroît à Kiev.

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