Bilan n° 115 du 13 juillet 2025 (guerre d’Ukraine)
La Russie a augmenté le volume de ses frappes dans la profondeur. Au contact, sa progression inexorable se poursuit. Sur la scène politique, l’Ukraine paraît de plus en plus abandonnée.
La Russie a augmenté le volume de ses frappes dans la profondeur. Au contact, sa progression inexorable se poursuit. Sur la scène politique, l’Ukraine paraît de plus en plus abandonnée.
Déroulé des opérations militaires
Notons une augmentation des frappes de longue portée russes. Tous les trois ou quatre jours, désormais, ce sont plusieurs centaines de projectiles qui sont lancés contre l’Ukraine. Les records s’effacent les uns après les autres : près de 500, 530, 550, plus de 700 l’autre soir, avec une proportion moyenne de 90 % de drones de longue portée et de 10 % de missiles de tout type). En 2023, quand il y avait 60 projectiles, nous parlions de frappes massives. Le chiffre a été multiplié par dix et valide la notion de sphère aérobalistique (LV 255) que nous avions évoquée dans La Vigie. Mais alors que tout le monde décrivait la densité sur la ligne de contact et ses abords (les drones FPV), les frappes dans la profondeur changent la donne. Autrement dit encore, nous nous focalisons sur le contact (le Close) en oubliant la profondeur (le Deep).

Peu d’observateurs font le point, frappe après frappe, des objectifs ciblés, de leur signification possible, de la mise en système avec les frappes précédentes : voici un domaine de ROSO qui me semble peu couvert. Une bonne âme ferait œuvre utile en observant ces facteurs pour qu’on en comprenne la logique tactique et opérative. Avis aux amateurs.
Front sud : Les Russes ont pris pied sur la rive nord de la rivière à Kamianske où les Ukrainiens ne tiennent plus de position (une grande partie du bourg est en zone « disputée ») (carte). Sans changement à Orikhiv (carte) ni à Huliapole (carte).
A l’ouest de Grand Novosilka, les Russes ont un peu progressé à l’ouest de Vesele (carte). Au nord, ils ont poussé en direction des trois rivières à partir de Komar, prenant Myrne, Piddubne et Tolstoi. Bahatir est officiellement contrôlée ainsi que toute la rive méridionale de la Vovcha jusqu’à la Mokri Yali (carte). Celle-ci a été franchie et les Russes vont pousser jusqu’à la boucle est de la Vovcha, 10 km plus loin : elle forme à cet endroit la limite avec l’oblast de Dniepropetrovsk.
Front de Donetsk : Pas de changement entre Andrivka et Pokrovsk (carte) ni sur le front sud de Pokrovsk (carte).
Entre Pokrovsk et Toretsk, à l’ouest de la H32, les Russes ont franchi la rivière Kazennyln à Razine, ce qui confirmerait l’intention de déborder Myrnograd par le nord ; Sans changement vers Popiv Yar et Poltava (carte).
Sur l’axe de la D20 au centre, les Russes poursuivent leur effort au nord de Yablunivka. Au centre, ils ont atteint les lisières du village d’Oleksandro-Kalynove. A Toretsk, poursuite de l’effort au nord avec la prise de Dachne et Dylivka (carte).
Front de Bakhmout : Progression dans les derniers quartiers de Chasiv Yar tenus par les Ukrainiens (carte).
Front de Svatove/Koupiansk. Secteur de Siversk : sans changement (carte). Ouest Kreminna : la tête de pont sur la Zherebets a été agrandie et atteint la rivière Nitrius (carte).
Secteur de Pischane : Petite progression au sud (carte)
Secteur de Koupiansk : Pas de changement à l’est de Koupiansk (carte) ni au nord vers Ravdivka (carte). Secteur Topoli sans changement (carte).
Front de Kharkiv : RAS (pas de carte).
Front de Soudja : Petite contre-attaque UKR à l’ouest de la zone, vers Kindrativka (carte), (carte synthèse)
Analyse militaire
Les Russes ont pris 165 km² en S27 et 138 km² en S28 soit 21 km² par jour, dans la moyenne du mois précédent.
Sans surprise, les Russes poursuivent leur lente pression. A peine distingue-t-on peut-être une tentative d’encerclement de Myrnograd qui couperait l’artère logistique septentrionale de Pokrovsk et affaiblirait encore la ville. Accessoirement, cette pointe menacerait aussi le flanc sud de Kostantynivka. Ces lents étouffements de serpent ne sont pas spectaculaires mais épuisent les lignes ukrainiennes. Celles-ci ne sont quasiment plus tenues par des hommes mais constituent des lignes de freinage, combinant observation, ralentissement et ouverture du feu, celui des drones. Les Ukrainiens ont inventé une défense fixe battue par des feux de drones et quasi personne sur la ligne.
Ceci explique aussi l’adaptation russe avec les unités russes montées sur moto, qui par leur mobilité et leur faible empreinte électromagnétique (thermique ou COM) permettent de déjouer les surveillances générales. Nous en avons parlé avec le Figaro (ici) : cela reprend des mécanismes expérimentés sous l’Ancien régime, ceux des dragons qui étaient non de la cavalerie légère mais de l’infanterie montée (qui se déplaçait à cheval - et à pied - mais combattait démontée).
Il reste que je continue de m’interroger sur cette progression constante mais limitée des Russes qui devraient en toute théorie accélérer leur progression. J’envisage plusieurs hypothèses :
1. Malgré une supériorité numérique russe, elle n’est pas suffisante pour opérer une percée. Il y a bien un décalage (non seulement en RAPFEU mais aussi en RAPFOR) mais les effectifs recrutés ne sont pas formés en unités pour pouvoir les engager dans une grande manœuvre opérative et combinée. Dès lors, bien que très amoindrie, la défense ukrainienne réussit à émousser les poussées russes, abandonnant lentement du terrain sans défaite majeure.
2. Les Russes n’ont pas encore lancé la fameuse « offensive d’été » dont tout le monde parlait. Celle-ci serait lancée instamment. Cette hypothèse se vérifiera d’ici deux ou trois semaines. Si rien n’est fait d’ici début août, elle n’a plus lieu d’être.
3. Les Russes mettent la progression territoriale en second : certes, ils cherchent à rejoindre les limites des oblasts revendiqués (cf. les actions au sud de Pokrovsk où le but est quasiment achevé) ; certes ils n’hésitent pas à lancer des actions ailleurs pour disperser l’ennemi (Kamianske, Koupiansk, Soumy) ; mais ces objectifs sont seconds par rapport à un objectif principal, plus terrible encore : celui de conduire la démilitarisation de l’Ukraine sur le terrain. L’usure et l’attrition ne visent pas d’abord à affaiblir la ligne de contact mais principalement à anéantir les capacités techniques, humaines et collectives de l’armée ukrainienne. La durée devient à cette aune un objectif en soi. Le temps remplace l’espace dans la priorisation des facteurs (cf. entretien donné à l’Humanité, ici).
Analyse politique
La guerre d’Ukraine a cessé d’intéresser le public. Des conférences internationales (comme celle des investisseurs à Rome, en début de semaine) ne suscitent aucun entrefilet. Les grands médias continuent de couvrir un peu le sujet, pas acquis de conscience.
Au fond, l’Ukraine n’est plus le principal sujet de réflexion des Européens : c’est désormais la Russie, présentée comme une menace à moyen terme. Il faut signaler ici le retournement des esprits par rapport aux deux premières années de guerre quand on se moquait des Russes (« démontant des machines à laver pour avoir des puces électroniques ») et quand de sérieux experts annonçaient l’écroulement des FAR en six mois. L’appréciation de la Russie « au PIB de l’Espagne » a laissé place à une Russie puissante partout et très inquiétante. L’Ukraine « en première ligne » est de facto abandonnée à son triste sort. Plus personne « n’exige » de cessez-le-feu. Une résignation s’installe. En France, le ministre de la défense Lecornu déclare que la démilitarisation de l’Ukraine est une « ligne rouge absolue » pour les Européens (ici) : c’est le signe qu’elle est à l’ordre du jour.
En fait la Russie est présentée comme une menace qui permet de mobiliser l’opinion en faveur de la défense. Ainsi du sommet franco-britannique où elle est dans tous les esprits. Ainsi de la conférence de presse du CEMA, le 12 juillet, qui prépare le discours du PR le 13 appelant à augmenter les dépenses de défense.
Il est vrai que l’armée française sait tout faire mais pas longtemps : elle manque d’épaisseur et il est dans tous les cas urgent de la renforcer.
Quant à D. Trump, « déçu » d Poutine, il a trouvé la martingale : il va augmenter l’aide à l’Ukraine mais ce seront les Européens qui achèteront ses armes et les donneront à l’Ukraine. Cette proposition lui permet de gagner sur tous les tableaux, aussi bien celui du soutien à l’Ukraine (face au groupe de pression emmené par le sénateur Graham) que de la préservation des intérêts (économiques) américains avec la suprême gourmandise de faire payer les Européens qui diront merci en n’y voyant que le maintien du lien transatlantique. Il n’y a malheureusement plus beaucoup de stocks et l’industrie américaine peine à relancer les lignes ; enfin, le mécanisme otanien annoncé paraît difficile (cf. entretien donné au Figaro ici). Autrement dit, cette déclaration paraît plus symbolique que réellement opératoire. L’ultimatum des « cinquante jours pour un accord de paix » sera interprété à Moscou comme une nouvelle Trumperie : à l’instar des marchés financiers, plus personne ne prend vraiment au sérieux les rodomontades de D. Trump.
Pour l’Ukraine, les perspectives sont bien sombres.
OK