Bilan n° 114 du 29 juin 2025 (guerre d’Ukraine)
Si les progrès russes sont mesurés sur le terrain militaire, le désastre diplomatique du sommet de l’Otan donne un blanc-seing à Moscou pour continuer la guerre.
Si les progrès russes sont mesurés sur le terrain militaire, le désastre diplomatique du sommet de l’Otan donne un blanc-seing à Moscou pour continuer la guerre.
Déroulé des opérations militaires
Précisons tout d’abord une évolution de plus en plus marquée depuis quelques mois : la difficulté de mise à jour des cartes. C’est vrai de Poulet Volant mais aussi des autres cartographes qui tous ont des difficultés à rendre compte au jour le jour des évolutions, contrairement à ce qui s’était passé pendant trois ans. Cela tend à montrer que leurs correspondants ont moins la possibilité ou la disponibilité pour les affranchir. Il s’ensuit qu’à des jours avec très peu de modifications succèdent des jours avec des modifications nombreuses et importantes, suggérant un phénomène de rattrapage.
Cela rend évidemment l’analyse difficile et justifie un étalement des points de situation. Je prends ainsi les références de Poulet volant (même si comme lui je regarde les autres qui peuvent servir « d’alerte avancée » pour la raison de sa prudence mais aussi d’un thermomètre régulier et constant). Dans la durée, cela suffit à dégager les tendances. Merci à lui (et notamment cette semaine d’avoir fait l’effort de reprendre tous les points chauds, même s’il ne s’était rien passé).
Front sud : Les Russes sont entrés dans la partie sud de Kamianske (carte). à Orikhiv ils sont entrés dans l’est de Mala Tokmachka (carte). Micro-progression à l’est de Huliapole (carte)
A l’ouest de Grand Novosilka, les Russes ont pris Shevchenko et la rive ouest de Vesele (carte). Au nord, ils ont poussé en direction des trois rivières en prenant Komar, Zaporoizhjia, Yalta et Zirka. Si Bahatir n’est officiellement pas contrôlée, ils ont poussé à l’ouest d’Andrivka pour saisir Oleksivka (carte).
Front de Donetsk : De petites avancées se poursuivent au nord-ouest d’Andrivka avec la prise de Horihove et une poussée vers Novoserhivka (carte). Au sud-ouest de Pokrovsk le secteur industriel de Dymytrove passe sous contrôle russe.
Entre Pokrovsk et Toretsk, à l’ouest de la H32, les Russes progressent en direction de la rivière Kazennyl, notamment en saisissant Shevchenko Perv : il s’agit de déborder Myrnograd par le nord. Sans changement vers Popiv Yar et Poltava (carte). Sur l’axe de la D20 au centre, les Russes ont pris Zoria et sont entrés dans Yablunivka (carte). La progression dans ce secteur est plus lente qu’attendue.
A Toretsk, avancées au nord de la ville (les deux Dylivka et à l’ouest du canal) (carte).
Front de Bakhmout : Sans changement à Chasiv Yar (carte).
Front de Svatove/Koupiansk. Secteur de Siversk : les Russes sont entrés dans le village de Hryhorivka et avancé dans celui de Verkhnokamianske pour un front désormais aligné face à Siversk (carte). Ouest Kreminna : la tête de pont sur la Zherebets a été agrandie (carte).
Secteur de la Zerhebets : Petite reprise ukrainienne à Pischane (carte)
Secteur de Koupiansk : Pas de changement à l’est de Koupiansk (carte). La tête de pont sur l’Oskil est en train de pousser au nord de Koupiansk (prise de Ravdivka, Holubitva, Kindrashivka) (carte). Secteur Topoli sans changement (carte).
Front de Kharkiv : RAS (pas de carte).
Front de Soudja : Au nord, les Russes ont légèrement agrandi leur zone tampon, entrant dans Yakunivka et prenant à l’ouest Oleksivka et Kindrativka (carte), (carte synthèse et deuxième)
Analyse militaire
Les Russes ont pris 219 km² en S 23, 150 km² en S24, 114 km² en S25 et 98 km² en S26 (soit respectivement 31, 21, 16 et 14 km² quotidiens. Observons une diminution des progressions au cours du mois : je ne l’explique pas. En revanche, toujours pas de « grande offensive » russe, toujours pas de rupture nette des Ukrainiens.
Pour résumer la situation, les Russes poursuivent leur pression sur tous les fronts, de façon à épuiser les défenses ukrainiennes et leurs réserves. Ce lent étouffement donne des résultats pas forcément significatifs, même si les Russes ont presque atteint les limites de l’oblast de Donetsk au sud et mettent en place leur manœuvre pour la partie nord. C’est lent, méthodique, peu brillant, très loin du style occidental de la guerre qui adore la bataille, mais c’est efficace.
L’observateur remarque : quelques grignotages au sud ; une bataille pour les trois rivières au nord-ouest de Grand Novosilka ; l’atteinte des frontières de l’oblast au sud-ouest de Pokrovsk ; des petites progressions atteignant les faubourgs de Pokrovsk au sud ; une poussée au nord de la ville pour commencer à l’envelopper ; la réduction du saillant vers Toretsk ; un grignotage de la rive ouest du canal du Donbass pour arriver aux portes de Kostantinyvka de trois côtés ; une progression pour Siversk avec une bataille qui débutera bientôt ; un statut quo vers Lyman ; plus au nord, une poussée entre Zerhebets et Oskil ; un début d’encerclement de Koupiansk ; quelques avancées vers Soumy.
On le voit : rien de spectaculaire. La guerre d’usure n’est pas spectaculaire. Toute la question : combien de temps peut-elle durer ? Les Ukrainiens ont-ils encore des réserves ? Pour l’instant, ils tiennent.
Analyse politique
En près de quatre semaines, la question ukrainienne a disparu des radars. Plus personne n’évoque les négociations ni un « cessez-le-feu immédiat ». D’une certaine façon, la lenteur russe favorise ce lent engourdissement de l’intérêt. Pas de grande bataille, rien qu’un long étranglement qui endort les esprits.
Par ailleurs, la guerre IRIS (cf. Bilan 1 et LV 269) a attiré l’attention vers un autre théâtre, hautement dynamique et intense avec un conflit qui n’aura duré que douze jours : idéal pour le tempo médiatique. Cela a totalement éclipsé le théâtre ukrainien. Les quelques munitions antimissiles qui restaient en stock ont été rapidement envoyées vers Tel Aviv (même si rien ne suggérait qu’elles fussent dédiées à Kiev). Certains ont parlé de la rupture entre Moscou et Téhéran : c’est à mon sens aller bien vite en besogne car on ne sait pas ce que se sont dit les deux capitales ni le rôle éventuel qu’aurait pu jouer Poutine entre les Etats-Unis et l’Iran. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de déclaration tonitruante qu’il ne s’est rien passé (et cela n’indique pas non plus qu’il s’est a contrario passé quelque chose) : simplement, l’observateur ne peut pas dire aujourd’hui s’il y a eu inflexion de la relation diplomatique.
En revanche, deux sommets quasi simultanés se sont déroulés. Personne en France n’a parlé du sommet de Saint Pétersbourg, forum économique russe où de nombreuses délégations se sont rendues. Vu de Moscou, c’est un succès.
Tout le monde a évoqué le sommet de l’Alliance atlantique à La Haye qui est dramatique pour les Européens et les Ukrainiens. Les Européens se sont abaissés en-dessous de toute humiliation pour obtenir une garantie américaine alors que Trump mettait en doute l’article 5. Chacun a signé un contrat dont il n’a pas l’intention de tenir l’obligation qui y est couchée. Ce bal des hypocrites marque de facto la fin d’un système.
L’Ukraine n’a été qu’à peine mentionnée, la menace russe est citée « de long terme » : « Conscients que la sécurité de l’Ukraine contribue à leur propre sécurité, les Alliés réaffirment qu’ils soutiendront ce pays dans la durée, ainsi qu’ils s’y sont engagés souverainement. Dans cet esprit, les aides qui concourent directement à la défense de l’Ukraine et au développement de son industrie de défense entreront dans le calcul des dépenses de défense des Alliés » (déclaration officielle). Pour Zelensky, cela constitue un grave revers politique. Il est abandonné des Américains pour les trois ans à venir et, sans le dire, d’une bonne partie des Européens.
Pour Poutine, ce désastre diplomatique transatlantique est la meilleure nouvelle qui pouvait lui arriver. L’environnement géopolitique lui donne non seulement les clefs mais aussi le temps de poursuivre ses objectifs en Ukraine. Cela prendra le temps nécessaire mais il ira jusqu’au bout de son programme. Rien n’y personne ne peut désormais l’en empêcher.

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