Bilan n° 111 du 4 mai 2025 (guerre d’Ukraine)

Déroulé des opérations militaires

Front sud : A l’ouest, micro avancée russe à Kamianske (carte). Pas de changement à Orikhiv (carte)

Au nord-est de Grand Novosilka petite avancée russe vers Bahatir (carte) et réduction du saillant au nord d’Andrivka (carte).

Front de Donetsk : Les avancées se poursuivent au nord-ouest d’Andrivka où Uspenivka a été prise (carte). Dans le secteur de Pokrovsk, stable sauf la petite poussée russe dans Shevchenko (carte). Poursuite de la poussée continue à l’est de Pokrovsk, le long de la H32, les Russes ayant atteint Novoolenivka (carte). Le long de la D20, progression au nord de Sukha Baika

A Toretsk, la ville a quasiment été nettoyée par les Russes (carte).

Front de Bakhmout : sans changement majeur (carte).

Front de Svatove/Koupiansk. Secteur de Kremina/Siversk : peu de changements (carte). La tête de pont sur la Zherebets continue à s’élargir, Nove ayant été prise (carte).

Secteur de Pischane : Pas de changement à Svatove (carte). Zone Pischane (carte)

Secteur de Koupiansk : Pas de changement à l’est de Koupiansk (carte).La tête de pont sur l’Oskil sans changement (carte). Secteur Topoli (carte).

Front de Kharkiv : RAS

Front de Soudja : Au nord, les Russes agrandissent lentement leur zone tampon et évacuent les Ukrainiens des dernières portions de terrain (carte). A l’est de Soumy, les Ukrainiens ne tiennent plus que quelques km² (carte). Plus à l’est, la petite prise ukrainienne vers Belgorod est lentement reprise (carte synthèse)

Analyse militaire

Du saillant d’origine de Soudja, l’Ukraine ne contrôle plus que 10 km² de territoire russe, plus 18 km² ailleurs (carte). Les Russes poussent tranquillement pour établir une zone tampon au sud de leur frontière et fixer des troupes ukrainiennes. Il n’y aura dorénavant plus de décompte particulier de ce front dans les points de situation.

Dans le Donbass, les Russes ont pris aux Ukrainiens 42 km² en S17 et 84 km² en S18 (carte). Le rythme de progression russe est donc de 9 km² par jour dans la continuité des 10 km² quotidiens des deux derniers mois. Voir mon enfilade (ici) à propos de la progression russe au premier trimestre 2025, que certains comparent au T4 2024 alors qu’il faut logiquement comparer au T1 2025 ?

Les Russes continuent donc à modeler le front, les Ukrainiens à creuser des tranchées à l’arrière. Le front de Pokrovsk reste inchangé depuis plusieurs semaines, tout comme le front sud, malgré quelques escarmouches. Les Russes donnent l’impression de continuer à lentement pousser au sud de l’oblast de Donetsk pour parvenir aux limites de celui de Dniepro (dans la région d’Andrivka). Ailleurs, une manœuvre se dessine entre Pokrovsk et Toretsk avec une poussée de chaque côté de ce secteur, de façon à constituer un sac à feux à l’intérieur de la D20 et comme pointe avancée Berestock sur la H32, au sud de Kostantynivka. Une deuxième poussée, un peu plus au nord, joint Toretsk à Stupochy (carte). Ainsi, la H32 apparaît comme la ligne d’arrivée de l’actuel effort russe. Cela rejoint les efforts faits au sud de Chasiv Yar pour terminer la prise de la bourgade et atteindre Kostantynivka par Stupochky, au sud-est de Chasiv Yar.

Tout ceci est asse cohérent, opérativement : les Russes continuent à façonner le terrain mais visent bien de prendre l’ensemble de l’oblast de Donetsk, dont ils ne contrôlent que 70 % : Kostantynivka est la clef de ce Donbass du Nord et le modelage en cours vise à préparer son siège. Tout ceci est compatible avec les négociations en cours qui évoquent justement la maîtrise des oblasts occupés par la Russie. Cette activité militaire « limitée » permet de laisser du temps aux diplomates tout en préparant, éventuellement, une grande offensive qui de toute façon n’interviendra qu’après le 9 mai, jour de l’anniversaire de la victoire à Moscou.

Analyse politique

Je posais la question il y a quinze jours : « Y a-t-il vraiment des négociations ? Ou plutôt, portent-elles sur l’Ukraine ? »

Oui, il y a clairement des négociations même si nous n’en avons que les reflets et des déclarations publiques qui sont aussi bien l’état des lieux que des pressions publiques sur les parties : les manœuvres de communication font partie de l’exercice. Aussi faut-il rester prudent.

Disons que les Américains ont proposé un plan de fin des combats (je me méfie du mot de paix car je pense qu’il n’est à l’esprit d’aucune des parties : des deux côtés, on dit qu’un éventuel arrêt ne servira qu’à reconstituer des forces pour le prochain affrontement). Les Ukrainiens, aidés des Européens, ont avancé une contre-proposition. Les Russes eux-mêmes ont publié leur propre texte. Sans surprise, le texte américain se trouve à mi-distance des deux. Il faut prendre ces textes pour ce qu’ils sont : des bases de discussion. Rien ne dit que les parties aient vraiment envie de négocier : au moins se prêtent-elles au jeu.

Des avancées ont lieu malgré tout. MM. Trump et Zelensky ont mis en scène, à l’occasion des funérailles du pape François (cf. La Vigie n°265, ici), un tête-à-tête tandis que le président américain manifestait un agacement apparent (et peut-être feint) envers V. Poutine. Un accord ukraino-américain était même signé cette semaine. Certains commentateurs l’ont qualifié de grande victoire pour Kiev : on sera plus mesuré. M. Zelensky a bien compris les méthodes de négociation de D. Trump, qui demande la lune pour obtenir la moitié. Il a donc dit non au début pour arriver à ce texte. Cependant, ses effets ne porteront que dans dix ans au plus tôt. S’agissant du conflit en cours, cela n’avance pas à grand-chose.

On peut même voir la chose d’une autre manière : ayant obtenu un accord, D. Trump peut se tourner vers son public intérieur, déclarer qu’il a signé quelque chose et dire que puisque le job est fait, il peut tranquillement se retirer.

Simultanément, je ne suis pas du tout sûr que M. Poutine soit intéressé à un accord aujourd’hui. Le dialogue avec l’Amérique lui suffit comme succès politique et il ne serait pas fâché que D. Trump déclare que finalement, il jette l’éponge et laisse les parties se débrouiller entre elles. Cela expliquerait son attitude, cherchant à négocier autre chose avec Washington que l’Ukraine. Or, il a lui aussi des matières premières à offrir, y compris des terres rares. Accessoirement, avec l’Arabie Séoudite, il a fait sur le front pétrolier une bonne manière à D. Trump : les deux pays ont décidé l’OPEP+ à augmenter les livraisons et donc à faire baisser les prix de l’huile : nous l’avions évoqué en janvier dernier (billet 104). Moscou se sent suffisamment fort pour baisser ses ressources d’exportation afin d’amadouer le partenaire américain. Autant dire que la menace de nouvelles sanctions, de la part de l’Union européenne (ici), l’impressionne peu.

Cependant, si les négociations aboutissent (chacun a bien compris que les Ukrainiens accepteraient de céder des territoires, au moins de facto), elles doivent déboucher dans les prochaines semaines. La météo qui favorise une éventuelle offensive s’améliore de jour en jour avec des conditions idéales à partir de fin mai ou début juin.

Nous verrons bien.

Billet précédent n,° 110 :