Alaska, 2025 : vers la fin de la guerre de 108 ans ? (J-C Allard)

Le G(2S) JC Allard nous donne ici son analyse du somet d'Ancorgae et des négociations sur la guerre d'Ukraine. Un utile contrepoint à notre propre analyse développée dans le dernier 272. Merci à lui. LV Négociations : coulisses et faux-semblants (LV 272)De vraies négociations semblent
Alaska, 2025 : vers la fin de la guerre de 108 ans ? (J-C Allard)
Source image Courrier international

Le G(2S) JC Allard nous donne ici son analyse du somet d'Ancorgae et des négociations sur la guerre d'Ukraine. Un utile contrepoint à notre propre analyse développée dans le dernier 272. Merci à lui. LV

Négociations : coulisses et faux-semblants (LV 272)
De vraies négociations semblent avoir commencé à Anchorage. Nul ne sait si la paix entre la Russie et l’Urkaine est au bout mais c’est désormais une possibilité.

Les présidents américain et russe se sont rencontrés le 15 août 2025 en Alaska, un endroit garantissant la sécurité des acteurs (le POTUS est chez lui et Poutine est à l’abri des poursuites de la CPI). Mais ce choix et la mise en scène ont surtout une signification géopolitique.

Choisir la frontière (maritime) commune aux deux pays la plus éloignée de l’Europe (et de l’OTAN), c’est montrer que l’on prend ses distances par rapport à la frontière russo-ukrainienne pour traiter l’ensemble du contentieux américano-russe qui dure depuis 108 ans (1917 – 2025). Ce choix révèle aussi les champs principaux de préoccupation : le Pacifique, l’Arctique, la sécurité réciproque. L’accueil cordial indique l’esprit dans lequel ces questions vont être traitées. C’est aussi l’occasion d’adresser quelques messages pour le reste du monde : une démonstration de puissance américaine (passage de l’escadrille F35 et B2 Spirit qui vient de frapper au cœur de l’Iran depuis le cœur des Etats-Unis – 12 000 km), un transfert de responsabilité aux Européens de la résolution du conflit en Ukraine et une mise en garde à ceux qui "voudraient mettre des bâtons dans les roues[1]".

Cette analyse est confortée par le contenu laconique de la conférence de presse : les affaires russo-américaines n’ont pas à être divulguées et la guerre en Ukraine est à traiter par l’Ukraine et les Européens, sous réserve qu’ils prennent en compte l’architecture de sécurité en Europe (et donc les demandes russes). La Chine constitue l'autre absent de cette rencontre, visée dans cette tentative de rapprochement (comme le fut, à l’inverse, l’URSS lors de la reconnaissance de la Chine par Nixon en 1972). On attend ses réactions,

Cette rencontre est donc présentée comme une tentative de mettre fin à la guerre en Ukraine, mais elle a été surtout l’occasion pour chaque président, dans le secret de leurs conversations, de mettre en place une stratégie pour avancer vers leurs buts politiques, avec leurs « cartes en main ».

Quelles sont les « cartes en main » ?

Pour Trump, axé sur MAGA (Rendre l’Amérique à nouveau grande), il s’agit de tenir le rôle traditionnel d’arbitre ou suzerain du monde, mais à moindre coût militaire/financier (exemples avec les arbitrages entre Inde et Pakistan ; l’accord Arménie-Azerbaïdjan ; les accords douanier avec l’UE ; l’exigence de contributions de l’Europe à OTAN – et depuis le 20 août d’apporter des garanties de sécurité contre remboursement) ; de s’assurer des ressources pour soutenir la croissance et l’économie américaine dans le temps très lointain (visées sur le Groenland, l’Arctique, etc.) ; de tenir la Chine dans la place d’éternel second. Et, dans la réalisation de ces buts stratégiques, il s’agit de s’assurer la coopération de la Russie qui, par ses immenses ressources potentielles, détient une des clés du futur.

Pour Poutine, le discours de Munich de 2007[i] expose clairement ses objectifs politiques et l’énoncé des entraves à leur atteinte. Quinze ans après, en deux temps (2014 ; 2022), ces objectifs politiques se sont traduits par une guerre en Ukraine qui, au fil des combats, a élargi les ambitions russes au-delà de celles décrites dans les deux textes de décembre 2021[ii], présentés avant l’offensive et portant sur des mesures de sécurité entre Russie et OTAN d’une part, Etats-Unis de l’autre. Ils s’y rajoutent désormais des ambitions territoriales depuis le 30 septembre 2022[2] et des exigences sur le modèle politique de l’Ukraine même.

Il y a donc trois paniers de négociations ouverts

1.      Celui sur la relation russo-américaine avec d’une part les objectifs du discours de Munich de Poutine (être reconnu comme acteur majeur des relations internationales), d’autre part l’ambition de Trump de nouer des relations avec la Russie en mettant fin à la guerre de « 108 ans » entre Etats-Unis et URSS/Russie (octobre 1917 - 2025) pour accéder aux ressources russes (et tenter d’en priver les Chinois). Une stabilisation du monde qui était déjà espérée en décembre 1989 à Malte[iii] lors du sommet Georges Bush – Mikhaïl Gorbatchev et résumée ainsi par Georges Bush : « Il n’y a virtuellement pas de problème au monde, et certainement pas en Europe, qu’une amélioration des relations soviéto-américaines ne contribuerait pas à simplifier [iv]». Il s’agit de relancer cette dynamique, mais le duo devient trio avec la Chine qui tient à son « amitié indéfectible avec la Russie » pour assurer, elle aussi, ses ressources futures. Pour discuter du contenu de ce panier, les Etats-Unis ont l’atout de leur puissance militaro-économique et quelques achèvements récents, (ex. accord sur corridor de Zangezur), mais le monde « non-occidental » rue avec entêtements dans les brancards derrière la Russie depuis Munich (2007) notamment dans les forums alternatifs lancés par le tandem sino-russe (Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) – BRICS-2009).

Etats-Unis et Russie sont donc demandeurs dans ce panier de discussion qui est central et donc le contenu voire même l’existence est resté secret mais se devine avec l’allusion par les deux présidents de la reprise possible des échanges commerciaux et un travail prospectif sur l’avenir.

2.      Celui de la question de l’organisation de la sécurité en Europe. Une obsession russe, reprise dans les deux memoranda soumis par la Russie aux Etats-Unis et à l’OTAN le 17 décembre 2021[v], rejetés par les destinataires et suivis de l’attaque de février 2022. La guerre de conquête militaire russe contre l’Ukraine depuis trois ans a sapé toute la confiance des pays européens dans la solidité d’un accord qui pourrait être trouvé avec la Russie. Côté russe, la démonstration de sa détermination à recourir à la force, la montée en puissance de ses capacités militaires et la réaction occidentale graduée et essentiellement hybride, lui font percevoir l’OTAN comme moins menaçante militairement, même si les trains de sanctions portent de sérieux coups à son économie. Enfin, pour les Etats-Unis, la menace russe entretient le besoin d’OTAN et d’armement américain.

Comme personne ne parait disposé à dialoguer, le statu-quo parait l’option la plus probable (l’Ukraine restant toutefois hors de l’OTAN). Les problèmes récurrents de l’ère de la Guerre froide resteront traités entre Etats-Unis et Russie voire étendus à la Chine (traités sur armements nucléaires, capacités des forces armées, nouveaux armements - subsoniques, drones, rôle des instances internationales, etc.).

Si Etats-Unis et Russie considèrent la guerre en Ukraine comme le levier pour changer l’ordre du monde, l’Europe, elle, en fait le centre du monde. Avec quelles perspectives ? 

3.      Celui de la guerre en Ukraine proprement dite. Elle a été la catharsis des passions russo-américaines, mais en trois ans, la situation a évolué. La nouvelle Administration américaine semble vouloir abandonner la stratégie du refoulement de la Russie et porter son effort sur un rapprochement. Poutine et Trump semblent se retrouver sur l’idée de mettre fin à cette guerre mais reste à en éclaircir les modalités.  

·        Soit une fin rapide sur la base des exigences de Poutine, à la charge des Etats-Unis d’obtenir cela de l’Ukraine et à l’Europe ? Le détail sera ensuite longuement discuté dans des commissions incluant l’Ukraine. Des territoires conquis seraient rendus, mais la Russie n’abandonnera pas la centrale nucléaire d’Enerhodar ni le barrage de Nova Kakhovka, et tentera de contrôler l’approvisionnement en eau du Donbass via le canal Siverski Donets-Donbass (CSDD). Eau et énergie sont vitales pour le Donbass-Crimée. Pour le reste, la Russie pourrait ajuster ses prétentions car la ligne de front actuelle lui offre suffisamment de recul pour protéger la mer d’Azov et les couloirs vers la Crimée. Ce premier scénario verrait la guerre « froide » américano-russe se terminer comme elle a commencé en Corée. Un cessez-le feu sur les lignes actuelles d’affrontement. Un traité de paix reste illusoire.

·        Soit une extinction progressive, car la reddition, surtout territoriale, ne correspond pas aux vues du gouvernement Zelenski qui cherche à mobiliser l’Europe autour de lui, afin de limiter les concessions, de préserver une capacité politique, économique, militaire de reconstruction et d’obtenir des assurances fermes et tangibles (réassurance militaire) des Européens. Mais continuer la guerre suppose un appui vigoureux des Etats-Unis qui semble l’exclure, acceptant seulement de fournir des garanties de sécurité en cas d’accord de paix. Ce second scénario verrait les alliances de l’Ukraine se réduire au périmètre européen se débattant contre la Russie et ses peu recommandables alliés pendant plusieurs années.

·        Dans les deux cas, les Etats-Unis restent le mentor politique de l’Europe du fait des dépendances de sécurité (OTAN), des contrats armements (avec le soutien captif), des liens économiques et de la nouvelle dépendance énergétique. Dans les deux cas, l’Europe paye pour la sécurité et la reconstruction de l’Ukraine, les Etats-Unis présentent les factures. Ayons à l’esprit que ce second scénario laisse ouverte une dernière option : que l’Europe et l’Ukraine spéculent sur un affaiblissement politique du courant Trump aux élections de mi-mandat, voire en fin de mandat. Pour l’heure les positions européennes et ukrainienne ne sont pas déterminées.

Pour conclure

En attaquant l’Ukraine, Poutine a voulu déstabiliser les certitudes du monde occidental pour faire évoluer l’ordre mondial et ses règles de fonctionnement. L’arrivée de Donald Trump au pouvoir semble faciliter l’atteinte de ses objectifs et le doute s’instille aux Etats-Unis sur l’intérêt de faire perdurer l’antagonisme américano-russe[vi] au regard de ses conséquences sur la compétition avec la Chine. La rencontre des présidents russe et américain en Alaska va-t-elle relancer la dynamique ébauchée à Malte en 1989 ? Dans ce cas, elle pourrait laisser un lourd passif pour l’Ukraine, comme ce fut le cas pour tous les pays, théâtres involontaires, mais captifs, des affrontements américano-soviétiques.

L’Europe, quant à elle, est dans le doute le plus total sur son avenir. La gabegie qui l’a conduite à profiter des « dividendes de la paix » la laisse désarmée tant au plan sécuritaire que politique et stratégique. Tout y est à reconstruire et d’abord ses capacités d’analyse stratégique pour comprendre le monde multipolaire qui l’entoure. Les Etats-Unis, un temps hyperpuissance autocentrée, semblent avoir compris cette évolution et avoir la volonté de s’y adapter.

Que cette guerre « froide », et son dernier avatar la guerre en Ukraine, s’achève brutalement ou par épuisement, elle cédera la place à un autre théâtre d’affrontement potentiel. C’est pourquoi il faut désormais observer les réactions et le rôle futur de la Chine, pour l’instant tenue à l’écart.

Jean-Claude Allard


[1] https://www.cbsnews.com/news/transcript-of-what-putin-trump-said-in-alaska

[2] https://www.france24.com/fr/europe/20220930-vladimir-poutine-officialise-l-annexion-de-quatre-territoires-d-ukraine


[i] https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire/1886

[ii] https://www.opex360.com/2021/12/17/la-russie-propose-aux-membres-de-lotan-et-aux-etats-unis-deux-projets-daccord-pour-garantir-sa-securite

[iii] Voir Jean-Claude Allard, « Oublier Malte ? » in https://www.iris-france.org/etats-unis-russie-europe-oublier-malte

[iv] https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/12/05/une-ere-nouvelle-s-ouvre-apres-le-sommet-de-malte-m-bush-veut-integrer-l-urss-a-la-communaute-internationale_4164018_1819218.html

[v] https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/17/la-russie-presente-ses-exigences-pour-limiter-l-influence-de-l-otan-et-des-etats-unis-dans-son-voisinage_6106489_3210.html

[vi] Voir Jean-Claude Allard « Ukraine-Russie : vers un aggiornamento stratégique ? » https://www.iris-france.org/185044-ukraine-russie-vers-un-aggiornamento-strategique-americain

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