Théorie de la puissance (F. Argounès)

Cet ouvrage est paru en février 2018 et il s’installera rapidement comme un incontournable de toute bibliothèque stratégique et géopolitique. Il constitue en effet une étude serrée et érudite de la notion de puissance, que nous ne cessons d’utiliser sans jamais vraiment nous interroger à son sujet. Certes, un auteur comme Bertrand Badie a bâti sa réputation sur cette thématique (La fin des territoires, 1995; L’impuissance de la puissance, 2004). Il signe d’ailleurs une préface à l’ouvrage. Pour notre part, nous avions lu récemment l’ouvrage de Pierre Bühler (un des parrains de La Vigie), qui avait publié un ouvrage marquant sur le sujet, La puissance au XXIe siècle – Les nouvelles définitions du monde (CNRS éditions, 2011), où il s’interrogeait sur ce que pouvait signifier la puissance en ce nouveau millénaire (voir billet).

Le livre de Fabrice Argounès a une approche différente et très complémentaire. C’est un petit ouvrage universitaire de 225 p. L’auteur enseigne la géographie à l’université de Rouen, il est également le commissaire de la remarquable exposition « Le Monde vu d’Asie », actuellement au musée Guimet et que nous vous conseillons d’ailleurs vivement.

Son projet consiste ici à étudier les différentes approches théoriques de la puissance dans la discipline  des Relations Internationales. Il est divisé en quatre parties : Les définitions de la puissance – La puissance dans les théories des RI – Le statut de la puissance – La puissance : nouveaux acteurs, nouveaux terrains.

La première montre l’évolution du mot qui accompagne d’ailleurs l’évolution des approches académiques des RI, tout au long du XXè siècle; un mot évident qui l’est de moins en moins, même s’il ne cesse d’être utilisé. Il évoque les tentatives de synthèse, l’exemple du soft-power ou encore la politisation des nouvelles théories de la puissance. La deuxième partie, sur les théories proprement dites, est logiquement un peu plus descriptive : réalisme, libéralisme, constructivisme, approches critiques, post-modernisme, Bourdieu ou théories non occidentales sont ainsi appelées à tour de rôle pour dresser un tableau complet en une quarantaine de pages.

La troisième partie est d’une certaine façon plus appliquée puisqu’on y discute de la distinction entre grande et superpuissance, la question de l’hégémonie, le déclin des États-Unis, le déclassement, la puissance moyenne, la puissance régionale, la puissance émergente. La dernière partie s’interroge enfin logiquement sur les nouvelles « situations » de puissance, notamment d’un point de vue institutionnel : l’UE, Europe, l’ASEAN, acteurs non étatiques, ONG, l’individu, Internet…

L’appareil de notes est heureusement et classiquement reporté à la fin, augmenté d’un index et d’une solide bibliographie d’une quinzaine de pages (à laquelle on reprochera seulement l’absence de l’ouvrage de Buhler).

Ce genre d’ouvrage court le risque de n’être qu’érudit et donc lassant. F. Argounès réussit à dynamiser son discours, de façon qu’il ne s’agisse pas que d’aligner des références et des noms, mais de rendre apparent les problématiques sous-jacentes. De nombreux encadrés viennent ainsi aérer le texte et donner des conte-points utiles. Voici donc un ouvrage « de référence », celui qu’il nous aurait fallu lorsque nous avons commencé nos travaux sur les RI : assez exhaustif pour comprendre les interactions et les oppositions, assez concis pour ne pas étouffer sous la lecture. Si donc l’étudiant se dépêchera de l’acquérir, l’amateur ou le professionnel confirmé ne le négligeront pas non plus car il constitue un excellent condensé qui permet de rapidement remettre en perspective les polémiques intellectuelles ou les débats de la discipline.

Fabrice Argounès, Théories de la puissance, CNRS éditions, 2018, 225 p. 10 euros. Lien vers le site de l’éditeur.

JDOK

 

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