Triangle tactique. Décrypter la bataille terrestre (P. Santoni)

Martine Cuttier nous offre ici une longue fiche de lecture sr un ouvrage de tactique : le genre est rare, profitons en, surtout à l’approche de Noël, cela vous donnera peut-être des idées. LV

L’auteur, colonel de l’armée de terre qui a déjà effectué son temps de commandement régimentaire[1], achève la première partie de sa carrière. Il propose là son 3e ouvrage[2] et coche largement la case de l’écriture selon les vœux du général François Lecointre.

Dans l’avant-propos[3], il remarque que les Français s’intéressent aux questions militaires. Les demandes d’engagement dans la Réserve, le succès des « portes ouvertes » des unités et des nombreux magazines spécialisés le prouvent, bien que les commentaires de certains médias s’accompagnent souvent de poncifs et que les analyses des experts restent à la surface des événements, entre autres sur le sujet de la tactique. Son ambition consiste à décrypter la tactique et le combat au sol pour le plus grand nombre, profane ou déjà engagé dans une étude du combat, en replaçant chaque cas évoqué dans son large contexte. Une façon de permettre de comprendre l’Histoire et surtout l’histoire militaire et d’éclairer ceux qui pénètrent « dans les bulles de violence »[4].

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Cyber et drones (P. Etcheverry)

Ce livre paru il y a un an n’a pas reçu l’écho qu’il mérite. Il s’inscrit dans ce champ classique de l’art de la guerre qui consiste à analyser le recours à la technique, source de révolution, de rupture et de bouleversement stratégiques.

Après l’arme atomique dont on avait pensé que l’usage interdirait la guerre, ce qui ne fut pas, car la guerre entre sociétés semblables et « du fort au fort » fut remplacée durant les décennies de la guerre froide par des guerres périphériques, révolutionnaires, de décolonisation, où chacun des leaders de chaque camp, détenteur de l’arme ultime, s’ingérait. L’URSS abattue, on pensa alors « tirer les dividendes de la paix » puisque les États-Unis, vainqueurs du duel, se retrouvaient sans ennemi de leur niveau. C’était même la fin de l’histoire[1] par la victoire de la liberté.

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Géopolitique du Maroc (K. Abderrahim)

Voici  un petit opuscule (118 p, 12,8 €) tout à fait remarquable et permettant de faire rapidement le point sur le royaume chérifien. Écrit par un des meilleurs spécialistes du Maghreb, maître de conférence à Science Po (et ami de La Vigie), il présente une remarquable grande qualité pour un livre de géopolitique : il est bourré  de cartes ! La chose est suffisamment rare pour être précisée et abondamment louée !

D’ailleurs, on reste surpris par l’abondance de données réunies dans un ouvrage finalement si bref : iconographie, index, chronologie, portraits, tout y est ! Le style est limpide et l’on apprend une foultitude de choses. Évidemment à propos de l’histoire du Maroc, mais aussi ses quatre directions géopolitiques : l’Atlantique (qu’on pense à la primo-relation avec les jeunes États-Unis d’Amérique), l’Afrique, bien sûr, l’Europe (Espagne et France) et bien sûr, l’orient, à la fois arabe et musulman, sans même parler des liens avec le reste du monde (Chine et Russie). Mais il est aussi question de géopolitique intérieure, qu’il s’agisse de la société marocaine, de son économie ou de la lente évolution du régime politique.

Bref, un ouvrage à recommander chaudement, que vous lirez dans l’avion la prochaine fois que vous irez en vacances là-bas.

Kader Abderrahim, Géopolitique du Maroc, éditions bibliomonde, 118p. 12,8 €).

JDOK

Qu’est-ce qu’un chef (P. de Villiers, fiche de lecture)

Notre fidèle lectrice, Martine Cuttier, nous transmet la fiche de lecture du dernier opus du général de Villiers. Elle avait déjà proposé une lecture du premier opus (ici).  Merci à elle. JDOK.

Le général (2S) Pierre de Villiers introduit son livre en racontant comment les conférences et les séances de dédicaces lors de la promotion de Servir[1] lui ont permis de rencontrer le monde civil dans toute sa diversité tout en retrouvant des militaires et des anciens des guerres d’Indochine et d’Algérie.

Il a retenu le ton d’«une désespérance ambiante », d’une déception, de la part de gens «  ne trouvant plus leur place dans notre société fracturée. ». Témoignages « de gens simples, dévoués, courageux, généreux dont le regard de solitude révélait une vraie attente.  Des solidaires solitaires »[2]. En ce début de 2019, ces mots ne renvoient-ils pas au phénomène dit des « gilets jaunes », imprévu à l’automne 2018 mais devenu une surprise politique en décembre pour ceux qui refusaient de prendre en compte bien des signaux faibles ? Continue reading « Qu’est-ce qu’un chef (P. de Villiers, fiche de lecture) »

Dans les griffes du Tigre (B. Erbland)

 

Bien que parus, il y a cinq ans, ces Récits d’un officier pilote d’hélicoptère de combat, méritent quelques lignes. Non pas parce que l’ouvrage a reçu le prix spécial de la Saint-Cyrienne, en 2013 ni à cause d’une introduction élogieuse de Jean Guisnel et d’une quatrième édition, ni parce que comme l’indique l’éditeur dans sa note, il a « obtenu l’aval des autorités militaires, indispensable pour tout militaire d’active désireux de publier un ouvrage racontant ses combats ». Cette précision ne pouvant au contraire que faire hésiter le lecteur craignant le Livre d’or.

De ce point de vue, le texte est lisse de tout jugement mais résume ce que l’on nomme la spécificité militaire dont le point central est le combat au profit de la mission, la raison d’être première du soldat. Car soldat, le capitaine Erbland l’est dans un monde multipolaire devenu instable et violent avec son corollaire de la judiciarisation. Continue reading « Dans les griffes du Tigre (B. Erbland) »

La Méditerranée, conquête, puissance, déclin (J.-P. Gourévitch)

S’agit-il d’un essai ? d’un conte ? en tout cas, Jean-Paul Gourévitch a une très belle plume pour nous raconter des choses sérieuses avec vista et nous emmener de l’Antiquité à nos jours autour de la Méditerranée. L’objectif de l’auteur consiste en effet à reprendre les différents « rêves » de la Méditerranée. Le lecteur retrouve ici l’approche classique de l’école française de géopolitique qui s’interroge toujours sur les représentations géopolitiques. Mais alors que celles-ci sont souvent vues des peuples, J.-P. Gourévitch élargit  la méthode pour s’interroger aussi sur le rêves de certains dirigeants (Justinien, Soliman, Hitler, Nasser ou Sarkozy).

Ainsi, au lieu d’un traité strictement historique ou de géographie politique, l’auteur montre que la Méditerranée échappe à tous les rêves que l’on en fait, à toutes les approches unifiées que l’on en a. Elle ne peut être dominée malgré son unité apparente. Objet de désirs, on ne peut l’obtenir alors pourtant qu’elle ne cesse de les susciter. La Méditerranée devient une tentatrice qu’on ne peut conquérir et pour laquelle on s’épuise.

Tout commence avec Ulysse, premier héros méditerranéen mais qui a la prudence de refuser l’illusion de l’éternité proposée par la nymphe Calypso, afin de retrouver l’Ithaque prosaïque. Les Romains ont un autre rêve, celui du Mare Nostrum, celui du lac intérieur. Il est de courte durée car la bataille d’Actium, qui voit le triomphe d’Octave,  futur Auguste et fondateur de l’empire, marque finalement la coupure de la Méditerranée en deux, cette coupure durable qui court encore de nos jours. Justinien, l’empereur byzantin du VIè siècle (celui de Théodora et de Bélisaire) espère réunifier la mer intérieure : il s’y épuise et échoue. C’est d’ailleurs l’épuisement de l’empire byzantin (qui s’affronte aux Perses) qui permettra la fulgurante razzia musulmane, au siècle suivant. Les rivages est et sud sont dominés, l’ouest également avec la saisie de l’Espagne mais le nord reste chrétien. Le croissant ne dominera pas le pourtour méditerranéen, encore moins la mer qui le définit.

En réaction, la Chrétienté rêve de reprendre le contrôle de ces rivages et notamment de la Terre Sainte : cela sera l’épisode des Croisades qui menèrent chevaliers et servants d’armes de l’Anatolie à la Palestine mais aussi en Égypte ou à Tunis. Des ordres militaires seront créés sur les îles méditerranéennes (à Rhodes ou à Malte) mais le rêve s’évanouira aussi. Venise , du XIIIè au XVè, pense construire avec  ses comptoirs maritimes une autre domination, fondée sur le commerce et l’argent : là aussi, la réussite est transitoire et l’effort vain. Mais un autre empire se lève, celui de Soliman et de l’ottomanisme. Il conquiert de vastes parts des rivages méditerranéens mais l’effort est trop important et peu à peu, l’empire recule. Les Barbaresques prennent la relève : eux ne veulent pas les territoires mais juste contrôler les masses liquides et obtenir un tribut de ce qui y circule. Du XIVè au XIXè siècles, ils rançonnent les mers. La liberté du commerce pousse les Européens à intervenir et à les faire tomber. Mais un autre rêve survient, celui de la colonisation : Anglais, Français, Espagnols et Italiens se partagent les rivages sud…. jusqu’aux décolonisations qui interviennent dès le XXè siècle.

J.-P. Gourévitch évoque ensuite les rêves contemporains, qu’ils soient politiques (Nasser, ligue arabe, Union pour la Méditerranée) ou transversaux (héliotropisme, rêve insulaire).

Ainsi, en 17 chapitres passionnants, l’auteur mélange poésie et lucidité, le tout appuyé sur une connaissance très fine de l’histoire de la Méditerranée. Il permet un regard renouvelé de cette Méditerranée source de tant de fantasmes et dont la réalité géopolitique est au contraire très fragmentée.

Jean-Paul Gourévitch, La Méditerranée, Conquête, puissance et déclin, Desclée de Brouwer, 2018, 367 pages : lien vers le site de l’éditeur

JDOK

 

 

La stratégie française de lutte contre le terrorisme islamiste (G. Mathias)

A lui seul, le sous-titre résume le contenu de l’étude où l’auteur dresse avec précision un état de la réponse institutionnelle française à la menace terroriste et islamiste. Le lecteur qui est aussi citoyen peut rapidement en conclure que bien des victimes auraient été évitées si depuis des décennies, les décideurs politiques avaient analysé la menace avec plus de réalisme. S’ils l’avaient moins sous-estimée au nom de présupposés idéologiques et faute de courage politique. Car notre faiblesse fait la force des islamistes.

L’analyse se divise en quatre parties. Continue reading « La stratégie française de lutte contre le terrorisme islamiste (G. Mathias) »

L’Afrique, nouvelle frontière du djihad ? (M-A. Pérouse de Montclos)

La France a une opération dans la bande sahélo-saharienne « pour lutter contre le terrorisme », si l’on reprend la malencontreuse expression des autorités (que nous avons analysée dans ce billet de L. Morin). Au fond, nous lutterions contre le djihadisme violent, selon une continuité avec ce que nous avons faite en Irak et Syrie et auparavant en Afghanistan.

Mais ce djihadisme africain existe-t-il vraiment ? Est-il continu avec ce qui se passe au Moyen-Orient  ? Autant de questions auxquelles Marc-Antoine Pérouse de Montclos tente de répondre dans un remarquable ouvrage, paru en mai dernier à La Découverte et que nous recommandons chaudement.

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Théorie de la puissance (F. Argounès)

Cet ouvrage est paru en février 2018 et il s’installera rapidement comme un incontournable de toute bibliothèque stratégique et géopolitique. Il constitue en effet une étude serrée et érudite de la notion de puissance, que nous ne cessons d’utiliser sans jamais vraiment nous interroger à son sujet. Certes, un auteur comme Bertrand Badie a bâti sa réputation sur cette thématique (La fin des territoires, 1995; L’impuissance de la puissance, 2004). Il signe d’ailleurs une préface à l’ouvrage. Pour notre part, nous avions lu récemment l’ouvrage de Pierre Bühler (un des parrains de La Vigie), qui avait publié un ouvrage marquant sur le sujet, La puissance au XXIe siècle – Les nouvelles définitions du monde (CNRS éditions, 2011), où il s’interrogeait sur ce que pouvait signifier la puissance en ce nouveau millénaire (voir billet).

Le livre de Fabrice Argounès a une approche différente et très complémentaire. C’est un petit ouvrage universitaire de 225 p. L’auteur enseigne la géographie à l’université de Rouen, il est également le commissaire de la remarquable exposition « Le Monde vu d’Asie », actuellement au musée Guimet et que nous vous conseillons d’ailleurs vivement. Continue reading « Théorie de la puissance (F. Argounès) »

Les États-Unis et le monde (M. Kandel)

Martine Cuttier nous propose cette fiche de lecture d’un ouvrage récent de Maya Kandel, Les États-Unis et le monde, de George Washington à Donald Trump, récemment paru. Merci à elle. JDOK

Le livre passe en revue le rapport des États-Unis au monde depuis la proclamation de l’indépendance des Treize colonies, en 1776 à nos jours. Sur cette période de deux siècles et demi, l’auteure montre, au gré de quelques dates-ruptures : 1776, 1865, 1898, 1919, 1945,1973 et 1991, comment les Américains se perçoivent eux-mêmes, perçoivent leur puissance dans le monde et perçoivent le monde, en vertu des principes de Pères fondateurs réinterprétés au gré de leur montée en puissance, en fonction de leur identité, de leur culture, de leur religion, de leur histoire, de leur Constitution, de leurs intérêts économiques et de leur relation à l’Europe. Le propos consiste à réexaminer un certain nombre de mythes sur la politique étrangère en particulier leur prétendu isolationnisme alors qu’ils n’ont cessé d’intervenir, mus pas la défense de leurs intérêts, en fonction des enjeux de puissance et des rapports de force.

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