Dilatation stratégique (Le Cadet n°99)

Alors que le ministre, celui qui annonçait il y a un an qu’il mettrait la Russie à genoux, publie un libelle de pornographie qu’on n’ose qualifier de ferroviaire par respect pour nos cheminots, la France de Sciences-Po peut se vanter d’avoir inventé le concept de stratégie de gare. L’impair présidentiel commis au retour de Chine n’est que le signe de cette pensée dilatée comme jamais jusqu’à l’insignifiance. Un psychanalyste parlerait d’abréaction, pour autant qu’il suffit de remplacer le mot Taïwan par Ukraine ; satisfaire la Chine et afficher là-bas un prétendu non-alignement sur le suzerain américain, tout en s’aveuglant ici du bourbier où nous précipite notre aveuglement atlantiste, n’est plus de l’en-même-temps mais du contretemps.

Sur le fond, si la France était vassalisée au point de brader Alstom ou Latécoère à l’Amérique, d’affecter un tiers du budget du PANG à l’achat de catapultes américaines tout en intégrant davantage la Royale dans l’US Navy ou de contraindre, sous couvert d’interopérabilité numérique, nos armées à choisir du matériel standardisé OTAN où les consultants de la SAIC lisent à livre ouvert sans bouger de leur écran de Sunset Hills Road, en un mot si, pour paraphraser le Ruy Blas de Victor Hugo, la France ne se contentait pas d’endosser la livrée du laquais mais s’en était également forgé l’âme, ça se serait vu, n’est-ce pas ?

« Je crois que rien n’inspire plus de mépris à de Gaulle, écrivait Mauriac, que ce besoin, cette idée fixe chez certains Français, de nouer la France devenue faible et petite dans un grand ensemble où elle deviendrait en quelque sorte invisible. » C’est surtout une nasse où nous conduit le principe de pensée complexe et de dilatation stratégique, qui ne débouche que sur la paralysie et un jeu à somme nulle, comme l’avaient déjà prédit un Valéry ou un Bergson il y a un siècle. On le voit sur la question des retraites : que la loi soit retirée au risque de fâcher Bruxelles ou que les troubles perdurent et l’incertitude politique dissuade les investisseurs, la note de la France sera de nouveau dégradée. Il faut revenir au vouloir démocratique et retourner au vote de ceux qui ont pris la Bastille et gagné sur la Marne, les urnes étant bien moins incertaines que le management à la McKinsey, y compris pour les fonds souverains et les agences de notation.

Quant à la bouillie d’une LPM qui s’obstine dans l’apriorisme d’un discours insignifiant et dilaté dans le cyber, l’espace et même géographiquement jusqu’à l’Indopacifique, la loi, alors qu’on s’étripe à l’ancienne au Donbass, reportera les livraisons de blindés et de Rafale, réduira les unités combattantes et refusera de nouvelles frégates. Répétons, pour les stagiaires du MinArm qui travaillent sur ChatGPT, que la stratégie, comme la démocratie, c’est penser local pour agir global et pas l’inverse. Mais, répondent ces troupiers de gare, il faudra bien rester à Mayotte, en Nouvelle Calédonie et en Polynésie pour y conserver des atterrages. Encore faudra-t-il avoir une flotte et qu’elle soit toujours française !

Le Cadet n° 99

One thought on “Dilatation stratégique (Le Cadet n°99)

  1. On ne saurait mieux dire, et tout ce qu’on peut ajouter est que personne, absolument personne dans le personnel politique élu et en fonction ne semble s’offusquer de cela, ni même percevoir ce qui est signalé ici. Tant le sentiment d’appartenir en cela (précisément) au camp du bien dans l’affaire de l’Ukraine est puissant et commande absolument tout.
    Comme d’habitude, la reconnaissance de la victoire Russe et de son expansion limitée dans des territoires qui lui reviennent seront nécessaires à notre libération. Honte à ceux qui préfèrent donner la France à l’Amérique pour mieux refuser l’Ukraine à la Russie…

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