Bilan hebdomadaire n° 52 du 3 mars 2023 (guerre d’Ukraine)

La chute de Bakhmout est-elle importante ? Finalement, les deux parties semblent avoir atteint leurs objectifs respectifs. Lien vers le billet entier en fin d’enfilade. Cartes : @pouletvolant3

Sur l’ensemble des fronts sauf à Bakhmout, la situation est restée globalement stable avec des efforts russes continus mais sans avancée ni même grignotage significatif. Rien sur le front sud où Vouhledar est tenue et non débordée (malgré ce qu’indique ISW). Micro-progression au sud de Marinka, poussée à l’ouest de Vodyane jusqu’aux lisières de Pervomaiske, poussée au nord d’Avdivka. Tout au nord, les sources ukrainiennes comme russes suggèrent une préparation d’offensive à hauteur de Koupiansk.

L’essentiel de la semaine se joue bien sûr à Bakhmout. Ce dimanche, les Ukrainiens semblent avoir entamé leur repli. Ils auraient abandonné la partie est de la ville de l’autre côté de la rivière et tiendraient à Ivanivske et Khromove pour faire sortir leurs troupes de la ville. Les Russes semblent s’en contenter et pousser plus à l’ouest. Dubrovo serait disputé. Il faut regarder aussi au sud de la ville s’ils ne cherchent pas à pousser au sud en franchissant le canal vers Ozarianivka.

Appréciation militaire : La prise de Bakhmout constitue à l’évidence un succès pour les Russes au moins symbolique. S’ils font pression contre elle depuis plus de huit mois, les choses se sont vraiment précisées depuis la prise de Soledar il y a deux mois. Autrement dit, quelle que soit la référence temporelle, ils auront mis du temps. Cela ne démontre pas une supériorité écrasante. Certes, l’avantage du nombre a joué mais on devine quand même beaucoup de limites dans la prise de la ville.

Pour les Ukrainiens, il s’agit d’un revers mais qui paraît relatif. Ils ont pu résister longtemps et user les Russes et ils procèdent à l’abandon dans l’ordre de la position. Nous ne reviendrons pas sur l’inconnue majeure qui permettrait de réellement évaluer cette bataille de Bakhmout, à savoir le prix payé par les deux parties.

D’un point de vue territorial, la chute de Bakhmout ouvre des possibilités aux Russes qui ont plusieurs options : poursuivre vers l’est pour tester rapidement la ligne de défense de Kramatorsk, pousser au nord pour fermer la poche de Siversk, tenter de créer une nouvelle poche autour de Konstantinivka et Chassiv Yar. Mais si on regarde le précédent du printemps, après la percée de Popasna, au lieu de pousser à l’ouest de Lissitchansk ils avaient essayé de relancer aux lisières de Donetsk où ils s’étaient enlisés. Ils peuvent reproduire cette option.

Il reste que les deux parties semblent avoir le même calcul temporel : les Russes estiment avoir le temps et leur tactique correspond à leurs possibilités (je ne les crois pas capables de lancer de grandes offensives blindées mécanisées). Ils paraissent avoir opté pour une guerre de longue durée, pariant sur l’épuisement de l’adversaire ou celui de ses soutiens occidentaux. Quant aux Ukrainiens, il s’agissait à l’évidence de tenir en préparant simultanément la grande offensive de printemps. De ce point de vue, Bakhmout a été fort utile en créant un abcès de fixation qui a concentré les efforts ennemis. Notez ainsi que les Russes qui testaient, début janvier, l’ensemble du front pour disperser les réserves ukrainiennes, ont rapidement abandonné cette tactique (essoufflement) ce qui permit aux Ukrainiens de se recentrer depuis six semaines.

Ainsi, la chute de Bakhmout est clairement ambivalente. Ce n’est pas le succès que les Russes clameront haut et fort, ce n’est pas non plus une anecdote négligeable où les Ukrainiens diraient « même pas mal ».

Évaluation politique : En ce début mars, on sent les Ukrainiens moins fébriles. Incidemment, avoir passé l’épreuve de l’hiver constitue un succès certain même s’il n’est pas forcément apprécié par les observateurs. Les frappes russes contre les infrastructures d’électricité ont désorganisé mais pas brisé l’arrière ukrainien. Dès lors, la cohésion ne s’est pas fêlée. Simultanément, on voit arriver les premiers chars fournis par les Européens (polonais voire les premiers Léopards). La montée en puissance d’un corps blindé mécanisé semble s’opérer convenablement. Après l’euphorie de septembre dernier, il y avait eu un contrecoup pessimiste cet hiver. On sent un regain d’optimisme mesuré même si de moins en moins de déclarations évoquent une reprise complète du territoire Crimée comprise.

Ailleurs, signalons la brève rencontre de MM. Blinken et Lavrov à New Delhi en marge du G20. Dix minutes d’entretien où ils n’ont rien pu se dire de sérieux, mais signal évident que l’on se parle. L’essentiel est ailleurs, dans l’implication de la Chine.

Comme le signale Gérard Araud, la Chine ne peut laisser tomber la Russie même si elle a regardé le conflit avec beaucoup de réticence. Le plan de paix proposé par Pékin paraît très fade mais, comme l’explique le Grand continent, marque malgré tout une opposition à l’Occident.

Bonne semaine,

OK

One thought on “Bilan hebdomadaire n° 52 du 3 mars 2023 (guerre d’Ukraine)

  1. L’affaire de Bakhmut n’est pas finie du tout. Les pertes liées à cette suicidaire défense sont bien trop importantes. La ville n’est toujours pas abandonnée et pourrait bien être l’objectif de la fameuse contre-offensive à venir tant son importance semble décisive pour tout le monde, contrairement à la classique phase finale (cette défaite n’est pas « stratégique ») de la gestion de perception du défenseur menée ici avec une tristesse pas encore vraiment résignée…
    Rassurez vous ! L’immonde boue du dégel a encore du sang à boire !

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