Bilan hebdomadaire n° 49 du 12 février 2023 (guerre d’Ukraine)

Pas de grandes évolutions sur le terrain cette semaine, marquée par la venue de V. Zelensky en Europe. Cartes : @pouletvolant3 sur Twitter

Au sud, les Russes pousseraient à l’ouest de Vouhledar, tentant d’encercler la localité plutôt que l’attaque directe qu’ils avaient tentée il y a quinze jours et où ils avaient subi des pertes sérieuses. Vers Donetsk, légère poussée au nord d’Opytne, en direction d’Avdiivka. Les Russes toujours bloqués au centre de Marinka, tentent de pousser au nord et au sud de cette bourgade de banlieue pour la déborder.

Secteur de Bakhmout. Au sud, les Russes poussent à l’ouest vers Chassiv Yar et Stupochky. Ils auraient atteint la route 504 et le pont sur le canal est détruit. Cette pénétrante ne peut plus servir aux Ukrainiens. Dans la ville elle-même, poussée lente dans les faubourgs est. Les Ukrainiens tiennent encore les deux ponts sur la Bakhmoutva même si l’un semble menacé. L’effort russe se produit en fait au nord. Ils sont ainsi montés sur le mouvement de terrain à l’ouest de Blahodatne jusqu’à atteindre la M03 à l’ouest. Du coup, les positions ukrainiennes du secteur sont intenables. Il semble que Krasna Hora ait été abandonnée, Parakoskivka devrait tomber bientôt. Il ne reste donc plus aux Ukrainiens qu’une voie d’approvisionnement vers Bakhmout, celle passant par Khromove, d’ailleurs sous le feu indirect des Russes. Mais pour l’instant, Bakhmout n’est pas tombée aux mains des Russes.

Plus au nord : pression russe pas trop insistante contre la ligne Fedorivka – Vesele, tandis que Spirne reste aux mains des Ukrainiens. Un peu plus au nord, ils auraient cédé une partie du village de Bolohorivka (mais nous n’avons pas de preuves visuelles). La poussée russe hors de Kreminna se poursuit : les avant-gardes russes seraient aux lisières de Torske. Enfin, tout au nord, le village de Dvorichne aurait été repris et les Ukrainiens seraient repassés de l’autre côté de l’Oskil, à Dvorichna.

Appréciation militaire. Faisons le bilan : à part Krasna Hora et Dorichne, la semaine n’a pas connu de progression russe significative. Cela semble indiquer que les Russes marquent le pas. Le renseignement ukrainien annonce cependant une grande offensive russe à venir. Trois divisions seraient ainsi en train de monter en puissance du côté de Belgorod, au nord de Kharkov. Au risque de me tromper, je ne crois pas trop à cette possibilité : d’une part à cause de la météo : il reste un mois à peine de temps froid avant que ne revienne la raspoutitsa. D’autre part, la mobilisation décidée en octobre a tout juste pu donner l’instruction de base aux recrues incorporées : elles ne sont certainement pas encore en état de conduire des opérations interarmes combinées. Je sais que les Russes n’ont pas montré de belles qualités manœuvrières et qu’ils comptent sur la masse. Je ne cesse de l’expliquer ici et le récent assaut sur Vouhledar l’a encore illustré. Mais justement : voir les Russes tenter de déborder cette semaine montre qu’ils essaient de s’adapter.

Dès lors, j’observe plutôt la poursuite de l’approche qui est mise en œuvre depuis sept semaines : pilonnage et assaut. Le débat n’est pas là mais dans les priorités tactiques affichées depuis quinze jours. Ainsi, la poche de Siversk ne semble pas un objectif premier, alors que je croyais qu’elle serait d’abord visée par les Russes. De même, j’ai l’impression que leur poussée de part et d’autre de Bakhmout ne vise pas à clore le siège mais au contraire, à pousser à l’ouest, au-delà de Chassiv Yar : il s’agirait ainsi de bousculer au plus tôt la ligne de défense que les Ukrainiens sont en train de fortifier en avant de Kramatorsk. J’observe enfin que les combats dans la ville de Bakhmouth sont réduits, ce qui indique que les Russes ne veulent pas y perdre trop de forces, quitte à laisser les Ukrainiens se retirer. Ce ne sont bien sûr qu’hypothèses, non prédictions. Elles demandent à être confirmées. Observons enfin qu’au nord, le seul objectif tactique raisonnable des Russes semble être de repousser les Ukrainiens jusqu’à la rivière Oskil.

Examinons maintenant les possibilités des Ukrainiens. Après la surprise des assauts russes depuis huit semaines, ils semblent avoir rétabli leur dispositif sans être trop dispersés. Peut-être ont-ils réussi à conserver des unités fraîches en réserve, de façon à préparer une contre-offensive. De ce que nous voyons, ils échangent des troupes pour céder le minimum de terrain et gagner le maximum de temps (selon les paramètres de toute équation tactique, je vous en ai déjà parlé). Ce temps gagné sert à deux choses : organiser la ligne de fortification en avant de Kramatorsk, qui sera le prochain objectif opératif des Russes. Elle court sur un mouvement de terrain liant grosso modo Konstantinovka à Siversk. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les Russes sont rapidement montés dessus depuis Blahodatne, plutôt que de poursuivre vers le sud : il leur est plus profitable de préparer le combat futur sur les hauts, plutôt que de fermer Bakhmout qui est condamnée.

Revenons aux Ukrainiens. Le temps leur sert aussi à mobiliser et mettre sur pied de nouvelles unités : les pertes qu’ils subissent les obligent eux aussi à mobiliser, avec les mêmes difficultés qu’ont les Russes ; il faut du temps pour former un soldat, il faut du temps pour former un équipage (de char, de canon, de tout système militaire). Certes cette formation peut se faire à l’ouest (avec malgré tout la barrière de la langue) mais cela prend du temps. Ils seront prêts au mieux en avril… Supposons qu’ils aient réussi à disposer de ces grandes unités pour le printemps : où pourraient-ils les engager ?

Au cours de l’automne, ils se sont escrimés à pousser dans la région de Svatove et Kreminna (avec finalement la même tactique d’usure aujourd’hui pratiquée par les Russes). Mais ceux-ci ont tenu malgré l’inconfort topographique de leur position. Nous voyons aujourd’hui les Russes en train de sortir de cette ligne et de repousser lentement les Ukrainiens. Ceux-ci vont bientôt se trouver dans la même position que les Russes sur la rive droite du Dniepr : avec des troupes en avant d’une rivière assez large (ici l’Oskil) avec peu de points de franchissements disponibles. J’ignore si les Ukrainiens vont devoir franchir à rebours la rivière Oskil, mais il me semble désormais improbable qu’ils puissent lancer une offensive dans cette zone, ce qui était envisagé à l’automne.

Je doute également qu’ils cherchent à contre-attaquer dans le Donbass, entre Siversk et Donetsk. Il ne reste dès lors qu’un seul point : le front sud, de Zaporijia à Vouhledar. C’est pourquoi le bourg d’Orikhiv est si important : de là pourrait partir une offensive vers Tokmak et au-delà Mélitopol, ce qui permettrait de couper la liaison terrestre entre la Russie et la Crimée. L’objectif est évidemment stratégique. Ce n’est pas un hasard s’il y a trois semaines, les Russes ont cherché à pousser dans cette zone (Kamianske, Orikhiv et Houliapolje). Mais le dispositif russe (connu) est bien étagé dans la profondeur : ce ne sera pas une partie de plaisir…

Appréciation politique : La semaine a évidemment été marquée par la tournée européenne de Zelensky qui a visité Londres, Paris puis Bruxelles. Cela a surtout servi à la communication interne des leaders politiques européens qui tous, font face à des difficultés intérieures (grèves en Angleterre, réforme des retraites en France). Rien de bien significatif n’en est sorti : la formation de pilotes de chasse semble plus un appeau à crédules qu’une vraie décision. Former un pilote de chasse est en effet encore plus compliqué qu’un équipage de char, surtout sur un zinc qu’on ne connaît pas. Il faut au moins 150 h de vol (à un pilote déjà qualifié sur avion d’arme), des journées de simulateur, sans même parler du dispositif de soutien… Un an au bas mot.

Or, pendant ce temps-là, le débat évolue aux États-Unis : je ne compte plus les articles publiés dans la grande presse (Financial Times, Bloomberg, NY Times, Newsweek, …) à la suite du rapport de la Rand. Tous mettent en doute les possibilités de l’armée ukrainienne. Plus grave, comme signalé par Corentin Sellin, les Républicains commencent à émettre des propositions de loi pour réduire le soutien à l’Ukraine. Ce n’est pas de bon augure.

Ce qui nous fait revenir à la question du temps : pour qui joue-t-il ? Nous y reviendrons.

A dimanche,

OK

One thought on “Bilan hebdomadaire n° 49 du 12 février 2023 (guerre d’Ukraine)

  1. Le verre à moitié plein, à moitié vide… La prise de Krasna Hora au nord et les avancées au sud de Bakhmut accentuent grandement l’encerclement progressif de la ville. Le progrès est notable.

    Au nord, Koupiansk est actuellement directement visé, et sa reprise devient probable. De manière sure, les Ukrainiens ont maintenant manifestement abandonné ce qui fut leur effort principal depuis l’arrêt de l’offensive de Septembre: la prise de Kreminna. La zone vide conquise facilement cet automne avec un succès qui a nourri bien trop d’espoirs est en train d’être reprise… Lyman est menacé !

    De fait, nous assistons sans doute à ce qui EST l’offensive d’hiver Russe, et à ses difficultés, notamment l’échec complet devant Ugledar, et qui fait un scandale en Russie. Le masochisme latent et l’agressivité jusqu’au boutiste s’est grandement manifesté à l’occasion dans les média Russes.

    Pour enfoncer le clou, cette semaine apparurent sur les médias français les premiers doutes effectifs quant au succès final de l’Ukraine. On aura noté le manifeste effroi stupéfait d’Yves Calvi apprenant du général Kempf que la situation était difficile, voire que l’Ukraine ne gagnerait jamais, et bien sûr cerise sur le gâteau, la tristesse exprimée par le général Yakovlev (un comble) qui évoqua la « mort » de l’Ukraine…

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