Bilan hebdomadaire n° 44 du 8 janvier 2023 (guerre d’Ukraine)

Je m’attendais à ne pas publier mais cette semaine a été agitée, notamment du côté de Soledar et Bakhmout où la situation évolue quotidiennement.

 La plupart des fronts n’ont pas connu de mouvements. Une frappe ukrainienne contre une caserne russe dans la région de Donetsk le 2 janvier aurait fait 89 morts selon les Russes, près de 400 selon les Ukrainiens. Ce dimanche 8 janvier, l’état-major russe vient d’annoncer avoir frappé une ou plusieurs casernes ukrainiennes vers Kramatorsk, déclarant un bilan de 600 morts. Je n’ai pas encore connaissance de la réaction ukrainienne.

Sur le front, les Ukrainiens auraient très légèrement progressé depuis Torske dans le no man’s land vers Dibrova, arrivant aux lisières immédiates du village. Partout ailleurs, la situation est plus sombre pour les forces de Kiev.

La prise de Yakovlivka par les Russes (voir ici ) a logiquement eu des conséquences sur le terrain. Comme je l’annonçais, les Russes ont progressé.

Tout d’abord vers le sud et donc le flanc septentrional de Soledar, à partir d’un mouvement de terrain qui domine la ville. Résultat, les Ukrainiens sont obligés de refluer depuis deux jours et ne contrôleraient plus qu’une petite moitié de la ville. La mine de sel serait partagée. Les Russes pousseraient au nord vers Krasnopolivka, au sud dans tout l’espace séparant Soledar de Bakhmout. Les comptes-rendus sont encore fluctuants : ils seraient aux lisières de Krasna Hora et auraient investi en partie la localité de Pidhorodne, qui surplombe directement le flanc nord de Bakhmout. Ce faisant, ils menacent directement la route 513, rocade qui relie la ville vers Siversk au Nord. Les rumeurs d’un retrait complet des Ukrainiens de Soledar sont fausses.

A Bakhmout, les Russes auraient un peu avancé dans l’est de la ville mais aussi au sud à Opytne. Surtout, leur manœuvre au sud-ouest aurait réussi et après avoir pris la zone entre Bakhmout et Klichiivka au sud, ils auraient investi cette dernière localité. Cela signifie qu’ils ont passé la voie ferrée qui servait de ligne d’arrêt. Il y aurait eu aussi de minimes avancées face à Horlivka (secteur Niu-York), non confirmées.

Dans le secteur de Donetsk enfin, légers changements également. Tout d’abord, les Russes auraient progressé légèrement au nord de Kamyanka, ville qui domine Avdivka. Enfin, selon ISW, ils auraient également avancé dans Marienka, au moins sur la partie nord-ouest de la ville (sous réserve de confirmation). Ils aborderaient l’étang à l’est de Heorhiivka.

Appréciation militaire : La situation vers Soledar paraît la conséquence logique de la prise de Yakovlivka. Depuis cette position, les Russes avaient plusieurs opportunités que nous avons examinées. Ils ont choisi de pousser au sud vers Soledar, domino qui leur permettrait, s’il tombait, de peser directement sur Bakhmout. Cette dernière localité voit sa position devenir plus précaire avec cette menace du nord, une poussée directe à l’est et au sud (jusqu’à présent contenue) et désormais, un risque de contournement au sud-ouest.

Il semble que l’état-major ukrainien, conformément à sa stratégie constante de « croche et tient », ait envoyé des renforts pour rétablir la situation. Ainsi, Soledar n’est pas encore tombée et Kiev fera le maximum pour tenir ses positions, malgré l’adversité.

Ces mouvements interviennent alors que les températures passent à la négative. Il faut rester prudent dans l’interprétation de ces événements. Les Russes ont déjà montré des progressions, comme à Severodonetsk, qu’ils n’ont pas su exploiter. Rien ne dit donc que les gains encore minimes de cette semaine soient significatifs. Pour autant, la prise d’une localité serait une bonne nouvelle pour la direction russe, la première depuis des mois. Soledar ne comptait que 11.000 habitants avant la guerre. Sa chute serait donc un événement mineur en soi. Mais il serait évidemment monté en épingle par la propagande russe. Il faut enfin suivre ce qui se passe autour de Donetsk où l’effort est constant pour dégager la ville. Avdiivka est une clef autrement plus importante que Soledar.

Quant aux frappes sur les cantonnements arrière, ils rappellent que la guerre est d’abord une affaire de territoires tenus par des hommes. L’attrition est d’abord humaine. En ce moment, des centaines d’hommes des deux camps tombent chaque semaine.

Analyse politique : La grande affaire a été l’annonce d’envois de matériels occidentaux : AMX 10RC (l’ancien chef de peloton de légère que je suis, qui a servi dessus, sait que c’est un engin blindé), Marders allemands, Bradleys américains. Plusieurs remarques :

  1. L’annonce précipitée de Paris a montré que la coordination franco-allemande est toujours à un point bas
  2. envoyer des matériels en phase de retrait de service est habile
  3. la diversité des matériels est un problème en soi. En effet, cela impose une logistique complexe que ce soit pour les munitions (le calibre de 105 est rare dans l’Otan et la France a peu de stocks) ou les pièces détachées.
  4. tout n’est pas officiel : on a ainsi appris que des obus BONUS avaient été tirés par les Caesar français, ce qui avait été tenu secret jusqu’à présent. e) à force, Paris a livré pas mal de matériels : Caesar, VAB, TRF1, Crotales, Milans et maintenant 10RC… La France n’a pas à rougir.

Mais le commentaire principal est ailleurs : le matériel ne fait pas tout. Cela joue, évidemment mais cessons de croire à l’arme magique qui renverserait le cours de la guerre. Il y a bien sûr d’autres appuis (rens, cyber, spatial, commandement, …) mais à la fin, une guerre est conduite par des hommes organisés en unités commandées. L’enjeu de l’attrition touche aux matériels mais aussi aux hommes. La question revient inlassablement sous cette plume : combien de temps les deux parties vont-elles pouvoir tenir ?

Nous verrons si la situation évolue nettement la semaine prochaine. D’ici là, profitez bien de votre quiétude et mesurez votre chance de n’être pas en guerre.

OK

6 thoughts on “Bilan hebdomadaire n° 44 du 8 janvier 2023 (guerre d’Ukraine)

  1. Merci pour votre analyse détaillée que je ne vais pas commenter sur le plan technique car vous savez trés bien ce que vous dites.
    Mais qu’est-ce que gagner une guerre ? Aucune guerre n’a été gagnée par qui que ce soit depuis 1945 , sauf peut être en Israël.
    La victoire ou la défaite ne sont pas une question de territoires gagnés ou perdus , ni même de morts ou de matériel mais gain politique .
    L’Ukraine a besoin de repousser son ennemi et de le faire paraitre affaibli pour revendiquer une victoire
    La Russie a besoin de sanctuariser la Crimée et les deux républiques du Dombass pour justifier son initiative et y ajouter quelques gains significatifs et revendiquer une victoire .
    Pour que les deux camps puissent afficher une victoire, cela prend encore bien des combats et des morts.
    Parfois même quelques victoires adverses peuvent être utiles , c’est tout un paradoxe.
    En tout cas , vous êtes tout en haut du mat, bien placé pour voir plus loin que les médias habituels

  2. Avant le 24 février 2022, vue depuis plusieurs milliers de kilomètres, je croyais que l’Ukraine comme d’autres régions de Russie était la proie de l’avidité des mafieux de tous bords, Russes ou Ukrainiens, menés par un certain Poutine, sans que l’on puisse rien y faire. Puis il y a eu l’Invasion, et j’ai pensé, c’est à nouveau la Tchécoslovaquie, l’OTAN et l’Europe comme d’habitude, vont pousser de hauts cris et ne rien faire. Et puis j’ai vu les Ukrainiens faire front, s’attaquer au monstre, se faire tuer, mais ne rien lâcher. Utiliser des quads pour harceler les colonnes blindées en pleine nuit, bricoler des drones, et attaquer sans cesse. Je suis resté saisi. Comment ce petit bout de terres, au bout du bout de la patte de l’Ours, tenait tête, et non seulement résistait, mais frappait, rendait coup pour coup, et morcelait le Tsunami russe, incroyable ! Et puis, un petit bonhomme, dont je ne connaissais pas le nom, je savais juste qu’il avait refusé de fuir, Volodymyr Zelinsky, a fait face aux télé, et n’a jamais cédé. Après les réfugiés Ukrainiens, il a bien fallu prendre en compte cette réalité. On ne peut pas laisser faire. En quelques mois, les Ukrainiens sont devenus une Nation, respectée, admirée, soutenue. Nos gouvernants ont bien compris que malgré l’incroyable campagne de corruption de nos politiques, par la Russie, nous n’étions pas d’accord. Il fallait que nous prenions partie, et que la concrètisation de notre soutien se fasse au niveau de l’Etat. A l’occasion de cette grande fête de Noël, et malgré toutes les horreurs que la Nation Ukrainienne a déjà subies, je vois venir un temps où vous serez entièrement libérés, débarrassés de tous les démons sanguinaires, un temps où vos enfants pourront jouer à l’extérieur, sans danger, et où vous pourrez vivre comme vous le souhaitez. Je vous transmet mes meilleurs voeux, de Paix et de Liberté. L’Ukraine vaincra

      1. Cher monsieur, merci de qualifier mon point de vue d’enfantin, je n’avais pas l’habitude de ce genre de commentaires. Cela me rajeunit.
        Quant à écouter Jean Dufourcq, croyez bien que je l’écoute, bien plus fréquemment que vous l’imaginez : regardez l’à propos du site de La Vigie, vous comprendrez.
        Merci en tout cas pour vos bons conseils et vos remarques judicieuses.

    1. Une nation est née, mais sans langue commune, sans histoire, sans état impartial et avec à sa tête un amuseur ! Et tout ça pour éviter un accord entre la Russie et le reste de l’Europe, qui est la grande peur des États-Unis.

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