Quatre ans après le Printemps Arabe : le Maroc, son Roi et son Premier Ministre (T. Wattelle)

Nous sommes heureux de publier ce billet proposé par Tancrède Wattelle, étudiant en troisième année à Sciences Po Paris.

 

Au pouvoir depuis 2011, les islamistes « modérés » du Parti de la Justice et du Développement (PJD) sont à nouveau dans l’œil du cyclone en raison de leur volonté de réformer le code pénal en y ajoutant des articles influencés par leur lecture de l’islam. Alors que ce projet avait été introduit dans l’esprit de la Constitution de 2011 pour combattre certains archaïsmes, notamment sur le viol, la société civile s’est mobilisée pour refuser les dispositions prévues par la révision du Code pénal, introduisant la criminalisation de la rupture publique du jeûne pendant le ramadan, du blasphème ou encore des circonstances atténuantes pour les crimes d’honneur. Cette polémique montre bien la diversité des forces à l’œuvre au royaume chérifien, qu’elles soient islamistes, démocrates, royales ou associatives. On constate rapidement un déséquilibre entre le pouvoir omniprésent du Palais et la marge de manœuvre des islamistes, rapidement mis au pas par Mohammed VI. En effet, alors que l’arrivée d’Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD, au poste de Premier Ministre avait suscité craintes d’un côté et espoirs de l’autre, ces deux sentiments ne semblent plus prévaloir actuellement. Quatre ans après le Printemps Arabe au Maroc, quelles conclusions pouvons-nous tirer de l’évolution de la situation économique, sociale et géopolitique du pays ?

 

Le roi Mohammed VI (à droite) et Abdelilah Benkirane, mardi au palais de Midelt, sur les hauteurs de l'Atlas. Source

Alors que les islamistes patinent…

Le contestation au Maroc s’était cristallisée autour d’une mobilisation spontanée de jeunes donnant naissance à une coalition regroupant des acteurs de la société civile, des partis politiques islamistes et de gauche : le mouvement du 20 février. Ses revendications reflétaient les frustrations de toute une génération : chômage des jeunes, toute-puissance du Roi, corruption et clientélisme autour du Makhzen, ce cercle de conseillers royaux influents. Face à ce qui aurait pu déstabiliser la monarchie alaouite marocaine, le Roi a réagi de manière rapide et efficace : dans son discours du 9 mars 2011, il annonce une vaste réforme constitutionnelle ainsi qu’un référendum sur le sujet. Les avancées sont gigantesques pour ce royaume qui s’était caractérisé par un immobilisme social assez surprenant depuis l’indépendance. Sont ainsi consacrées la pluralité de l’identité marocaine, la consolidation de l’Etat de droit par la séparation des pouvoirs, la promotion des droits de l’homme, la garantie des libertés individuelles et collectives. Ces réformes de démocratisation et de modernisation des institutions marocaines débouchent à l’aide du succès du référendum sur l’arrivée au pouvoir des islamistes du PJD, qui sont élus à l’aide d’un programme aux promesses sociales abouties en faveur des plus défavorisés. Leur intronisation est néanmoins conditionnée à la reconnaissance de l’autorité royale et de la légitimité religieuse du Commandeur des Croyants[1]. Faire cohabiter ceux que tout oppose n’est pas une promenade de santé, comme le montrent ces dernières années.

A l’heure de faire le bilan, il apparaît que de nombreuses réformes n’ont pas su ou pu être menées à bien. Que ce soit dans les domaines de la lutte contre la corruption, du mal-logement ou de l’aide étatique aux plus défavorisés, les islamistes ont échoué, sciemment ou non, à faire passer ces promesses de campagne. Dans le cas du projet de code pénal, ils se sont même heurtés à la société civile. La Moudawana[2], entré en vigueur en 2004, n’a toujours pas été réformé pour interdire la polygamie ou encore le mariage des jeunes filles mineures, deux fléaux de la société marocaine selon les associations de défense des droits des femmes. Quant à l’économie, le PJD ne s’y est même pas risqué. La conjoncture économique a d’ailleurs mis en lumière les prédictions irréalistes du parti islamiste : alors que ce dernier tablait sur une croissance de 7%, ce sont 4,4% qui sont prévus par le FMI pour 2015[3]. L’absence de cohésion au sein du gouvernement est un autre facteur pouvant expliquer l’échec patent du PJD au pouvoir : alors que les luttes intestines ont ruiné le gouvernement Benkirane I, l’alliance au sein du cabinet Benkirane II du PJD et du Rassemblement National des Indépendants (RNI), son ennemi historique, ne semble pas faire émerger de politique cohérente. Il est intéressant de noter qu’avec la présence du RNI et du Mouvement Populaire (MP) au gouvernement, qui ont participé à de nombreux exécutifs depuis 30 ans, le gouvernement Benkirane II est loin d’incarner le changement pour lequel il a été élu. Les experts s’accordent pour voir dans le PJD au pouvoir un islamo-populisme très actif par ses discours et ses gestes éphémères, moins par ses réformes structurelles[4]. On pourra ainsi évoquer le succès de la réforme de la caisse de décompensation[5], certes favorisée par la diminution du prix du baril.

… le Roi brille

Alors que la Constitution devait consacrer le retrait de la monarchie vis-à-vis du pouvoir exécutif, le Roi a utilisé tous les moyens à sa disposition pour se mettre en valeur aux yeux des Marocains. Son hyperactivité déconcerte tant il semble se trouver à tous les endroits au même moment. Chaque jour, il inaugure de nouveaux grands projets de création d’infrastructures ou de rénovation aux quatre coins du pays, que ce soient des instituts de formation, des mosquées ou des usines. De même, il reçoit les chefs d’Etat étrangers et implique la famille royale dans les tâches de représentation qui lui sont dévolues. Pour couvrir cette activité intense, Mohammed VI peut compter sur une presse fidèle qui a cœur de montrer sous son meilleur jour le souverain et ses proches. Les médias le suivent ainsi pas à pas, que ce soit au Maroc ou à l’étranger, où ses voyages au profit du rayonnement chérifien sont vivement discutés par les Marocains. Ces derniers saluent notamment le rapprochement avec l’Afrique de l’Ouest, conclu par les tournées royales au Mali, Sénégal, Côte-d’Ivoire et Gabon, ainsi qu’avec la Jordanie et les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), en particulier l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis. Ce dernier facteur constitue d’ailleurs la meilleure preuve de la mainmise royale sur la politique étrangère : traditionnellement proche des Frères Musulmans et de l’axe Turquie-Qatar, le PJD a dû accepter sans broncher le rapprochement progressif avec les monarchies du Golfe rivales du Qatar, puis avec l’Egypte du président al-Sissi. Ainsi, alors qu’il avait réussi à se faire remplacer par son ministre des affaires étrangères Salaheddine Mezouar jusqu’ici, Benkirane a été selon la presse obligé par le Roi d’aller représenter le Maroc en Egypte lors d’un Sommet Arabe pour rencontrer celui dont son parti conteste la légitimité[6].

La place du Roi est donc singulière dans cette monarchie exécutive où cohabitent les pires ennemis. Elle se caractérise de même par des prises de position personnelles qui ont le don de débloquer les situations les plus inextricables. C’est ainsi le cas de la question de l’avortement, sujet sensible dans une société musulmane. Malgré cela, le Roi a demandé l’organisation d’une consultation sur le sujet, dont les conclusions ont été données par le ministre de la Justice et son collègue des Habous et Affaires Islamiques. Dans la foulée, un communiqué royal annonçait la prochaine légalisation de l’avortement a minima[7]. Le souverain chérifien est aussi connu pour ses colères qui finissent généralement par trouver un coupable : ce fut le cas pour Mohammed Ouzzine lors du scandale du Mondial des Clubs[8]. Enfin, Mohammed VI constitue aussi une alternative au fonctionnement d’une bureaucratie et d’une justice parfois quelque peu lente. Ainsi, les appels directs au Roi se multiplient afin qu’il use de son influence pour redresser un tort ou une situation, d’autant qu’il y répond. Ce fut ainsi le cas d’une mère française souhaitant récupérer ses enfants emmenés par son mari marocain candidat au jihad. Le souverain alaouite se ménage donc grâce à cette posture une place à part dans le cœur des Marocains.

Décrié par certains qui l’accusent d’abus de pouvoir, idolâtré par d’autres qui se reconnaissent dans la devise du Maroc « Dieu, la Patrie, le Roi », Mohammed VI a su anticiper les aspirations de son peuple pour surmonter la crise du Printemps Arabe. De même, il a réussi à réduire au silence un gouvernement où l’idéologie islamiste s’est vite diluée pour se poser comme le seul acteur de l’exécutif à même de réformer et de faire progresser le Maroc. De fait, le souverain chérifien est en train de faire effectuer à son pays une transition vers une nouvelle dimension régionale et internationale. Une direction que n’aurait pas approuvée Abdelilah Benkirane. Mais comme il l’a si bien déclaré, « on ne peut entrer en conflit avec le Roi ».

T. Wattelle

Bibliographie :

  • ABDELMOUMNI Fouad, « Le Maroc et le Printemps Arabe », Pouvoirs, février 2013, n°145
  • CHAUDIER Julie, Entretien avec Thierry Desrues, Yabiladi, 16/11/2013
  • ESTIVAL Jean-Pierre, Le naufrage de l’islam politique à l’épreuve du pouvoir, L’Harmattan, Paris, 2013, 219 p.
  • GABAY Florence, « Le Maroc n’a pas connu de Printemps Arabe : 3 raisons pour l’expliquer », Le Nouvel Obs, 16/11/2014
  • GUEBACHE-MARIASS Khadidja, « Où va le PJD au Maroc ? Eléments de compréhension d’un échec patent », Medea, 21/06/2014
  • MENGAD Siham, « Maroc, quel bilan 10 ans après le code de la famille ? », Contrepoints, 11/06/2014

[1] Le Roi du Maroc est aussi commandeur des croyants, descendant directement du Prophète

[2] Code de la famille

[3] LE PUIL Timothée, « Le FMI annonce 4,4% de croissance pour le Maroc », Telquel, 19 /05/2015

[4] CHAUDIER Julie, Entretien avec Thierry Desrues, Yabiladi, 16/11/2013

[5] Caisse de subvention pour les produits de première nécessité

[6] CHAPON Amanda, « Benkirane va remplacer Mohammed VI en Egypte », Telquel, 27/03/2015

[7] En cas de danger pour la mère, de malformation du fœtus ou de grossesses résultant d’un viol ou d’un inceste

[8] Suite à de fortes pluies, la pelouse d’un stade s’est révélée impraticable à l’occasion d’un match du Mondial des Clubs, ce qui occasionné le limogeage par le Roi du ministre des Sports Mohammed Ouzzine

One thought on “Quatre ans après le Printemps Arabe : le Maroc, son Roi et son Premier Ministre (T. Wattelle)

Répondre à Patrice Cardot Annuler la réponse