Un second porte-avion

Voici le texte d’une tribune de Jan Dufourcq paru le 22 mars dernier sur le site de la RDN. Le Président français élu en mai prochain sera privé de la capacité de manœuvre militaire du porte-avions (PA) Charles-de-Gaulle, pendant les  premiers semestres de son mandat.

Le Charles de Gaulle reste l'unique porte-avions de la France. Crédit Photo: Marine nationale/Patrick Fromentin

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Pour sortir de cette impasse militaire récurrente et manifester notre volonté d’action stratégique autonome permanente, il faut donner à la France un second PA, chacun le voit et beaucoup de candidats l’affirment désormais. Appelons-le PA20 et exposons ce projet.

On annonçait récemment la mise sur cale aux États-Unis en mars 2018 du CVN 80 Enterprise, deuxième du nom, et son admission au service actif en 2027 dans l’US Navy. C’est exactement le calendrier qui conviendrait à la France pour le second porte-avions qui lui manque à l’évidence depuis la fin du couple Foch-Clemenceau et son remplacement par le solitaire Charles-de-Gaulle (CDG), aujourd’hui en arrêt technique majeur (ATM) jusqu’à la fin 2018.

On ne revient pas ici sur l’apport stratégique décisif de la capacité militaire mobile et autonome que représente le groupe aéronaval (GAN) avec son groupe aérien embarqué (GAE) désormais strictement composé de chasseurs Rafale Marine. On ne revient pas non plus sur l’obligation des longs ATM du CDG, programmés tous les 7 à 9 ans pour rechargement des cœurs nucléaires et d’arrêts techniques plus courts pour entretien. L’actuel ATM (2017-2018) annonce déjà le prochain en 2027-2028, qui sera probablement le dernier avant la fin de vie théorique du CDG (2038/2040).

Quelles seraient les conditions à réunir pour qu’un nouveau Foch (Richelieu ou Clemenceau…) soit mis en service dans la Marine nationale en même temps que le nouvel Enterprise de l’US Navy ? Et donc avant le prochain ATM du toujours solitaire Charles-de-Gaulle qui est programmé précisément dans 10 ans.

Le temps est trop long

Car il faut attendre 10 ans pour voir le résultat d’un choix de cette envergure. 10 ans c’est beaucoup, c’est le temps de deux quinquennats, une éternité politique, industrielle et budgétaire ! C’est précisément cette perspective trop lointaine qui a constitué depuis l’origine le principal handicap à la constitution d’un nouveau  couple PA1/PA2 garantissant à la France la permanence de sa mobilité aéronavale et donc de sa capacité stratégique d’action sans contraintes. Une perspective qui prive de fait le Président qui prendrait l’initiative de lancer un second porte-avions pour la France, du bénéfice de son emploi puisque la fonction présidentielle est désormais limitée à deux quinquennats, soit précisément dix ans. On a déjà notre fleuron, le CDG, et on devra s’en contenter avec des encoches techniques régulières pour recharger les cœurs nucléaires, réviser le bâtiment et rénover ses équipements de combat puisque l’on n’a pas eu la sagesse de mettre sur cale deux PA simultanément, comme la France l’avait fait dans les années 1960 ou la Grande-Bretagne, qui l’a fait récemment.

Cette fatalité est assumée par beaucoup, y compris dans les armées et dans la Marine mais sans doute regrettée par les autorités politiques.

Car on sait que de vraies perspectives de long terme n’ont pu être mises en oeuvre en France que dans le cadre de cette planification stratégique exigeante et volontariste qui a prévalu depuis les années 1960 dans les grands programmes des FNS, les Forces nucléaires stratégiques. Cette planification nucléaire continue d’ailleurs à être très soignée comme en témoignent les travaux de mise en perspective industrielle et budgétaire d’un renouvellement des deux composantes nucléaires de la dissuasion qui ne devrait plus trop tarder.

Mais pour les grands programmes classiques comme celui du mythique PA2 (voir « Du porte-avions », le numéro de mars 2017 de la RDN), il était beaucoup plus hasardeux de se lancer dans une oeuvre de longue haleine de cette ampleur, d’autant plus qu’il n’était plus possible de construire un vrai sistership du CDG, sa technologie ayant naturellement évolué.

Conditions à réunir pour un PA20

Pour sortir de cette fatalité structurelle récurrente, il faut donc réaligner les temps politiques, opérationnels, industriels et budgétaires. Et pour cela, hiérarchiser soigneusement et clairement les domaines clés : d’abord le politique qui voudra garantir la capacité opérationnelle, ensuite l’industriel qui devra rester dans un cadre budgétaire acceptable. C’est la condition sine qua non d’un projet réaliste de PA20, d’un second porte-avions pour la France.

Le temps politique disponible, c’est, à la veille de cette nouvelle législature, une durée utile de 10 ans, deux mandats présidentiels donc. Cela veut dire que la décision politique de lancer un second porte-avions doit être prise politiquement en 2018, dès l’an prochain. Il faut donc en parler maintenant.

Le temps opérationnel, c’est aussi 10 ans, si l’on veut assurer la continuité d’alerte opérationnelle du GAN lors du prochain ATM du CDG en 2027-2028. Il faut garantir un instrument de mobilité stratégique au président de la République qui entrera en fonction en 2027, cet instrument essentiel dont sera privé le 7 mai, le jour de son investiture, celui qui sera prochainement élu.

Le temps industriel, c’est le choix d’un « dessin » éprouvé pour le projet de ce nouveau PA, un projet sans nouveaux défis techniques, c’est-à-dire sans développements spécifiques critiques, et donc en utilisant des technologies éprouvées. Se pose ainsi le choix des catapultes et de la propulsion.

Le temps budgétaire, c’est un effort réparti sur quelques années avec des annualités budgétaires qui ne remettent pas en cause les autres dotations conventionnelles nécessaires pour effacer les pertes temporaires de capacités consenties pour raisons budgétaires, ces dernières années. Bien évidemment, l’ATM récurrent du CDG est la plus importante cause de ces pertes temporaires de capacités des armées que l’on déplore aujourd’hui. Cet effort à faire pourra conduire à un léger rééchelonnement des dotations croissantes liées au renouvellement des FNS programmées également dans les 15 années qui viennent.

Or toutes ces conditions peuvent être réunies au début de la nouvelle législature, si le besoin militaire en est clairement exprimé par des candidats qui pourraient sans doute même s’accorder sur ce projet PA20 qui pourrait être sanctuarisé dès maintenant.

Reste à savoir si une solution technique existe. Beaucoup le pensent.

Faisabilité du lancement en 8 ans d’un PA 20

Plusieurs solutions sans doute existent pour y pourvoir, sous réserve de confirmations techniques et industrielles. Mais pour rester dans l’épure d’une échéance technique (ATM 2027) et politique (second mandat 2022-2027), le contenu physico-financier de ce PA20 doit être consolidé rapidement.

En voici une version possible. Il en existe d’autres, bien évidemment.

Le PA20 sera dimensionné pour mettre en oeuvre le groupe aérien actuel (évolutions Rafale comprises) ; le choix d’une propulsion classique et de catapultes à vapeur semble s’imposer. Il jouera le rôle de PA principal pendant le prochain ATM du CDG, c’est-à-dire de pourvoyeur d’avions à une force aéronavale pour des actions navales et contre la terre, et celui de PA secondaire le reste du temps, pour des activités de qualification du GAE ou des opérations aéromaritimes interarmées, complémentaires de celles des BPC. Il pourra remplacer le CDG à la fin de la vie de celui-ci. Ce grand bâtiment de combat nouveau, déployé avec une escorte réduite n’aura pas à lui seul la pleine capacité de commandement et de défense de zone.

Sur la base des études préliminaires du PA2, des PA britanniques (et des variantes nationales Roméo et Juliette), de la rénovation du Sao Paulo (ex-Foch), ce grand bâtiment (environ 60 000 tonnes pleine charge ; contre 70 000 t pour les deux britanniques, 42 500 t pour le CDG et 32 800 t pour le Foch) disposera d’une propulsion diesel-électrique avec turbines à gaz (technologies civiles existantes) lui garantissant une vitesse de 27 noeuds comme le CDG. Les incidences du choix d’une propulsion nucléaire pourraient être examinées si cette solution répond au temps politique. La garantie d’approvisionnement de ses catapultes à vapeur est fondamentale, elle sera rapidement recherchée auprès du gouvernement américain. Il aura, en configuration PA principal, un équipage complet (80 % de celui du CDG alors en entretien), une capacité technique aéronautique complète de soutien du GAE (magasins et ateliers) et en PA secondaire un groupe aérien adapté à la mission (Rafale, hélicoptères) et un équipage plus réduit.

Le calendrier et le coût estimé d’une telle formule de PA20 sont à peu près cadrés. Pour une décision politique en 2017, des études préliminaires et des spécifications générales conduiront à une « décision de construire » courant 2018, des travaux de coque (STX Saint-Nazaire) en 2019-2020 et une admission au service actif en 2027. Le coût maximal peut être estimé à 3 milliards d’euros, avec des annualités pleines de 350 M€/an à partir de 2020, soit 10 fois moins que les annualités liées aux projets de rénovation des Forces nucléaires stratégiques dont le financement plein peut sans doute être différé lorsque l’effort d’apurement des comptes de la France permettra d’augmenter le PIB et la part du PIB à consacrerà la Défense. C’est le prix acceptable à payer pour sortir de l’impasse de cette réduction périodique de la capacité stratégique d’alerte aéronavale.

On voit bien les avantages multiples d’une telle formule. D’abord, pérenniser la capacité d’action stratégique de la France et remédier à une anomalie structurelle pénalisante. Ensuite, alimenter une forte filière industrielle et maintenir l’emploi qualifié qui lui est associé ; garantir des contrats multiples pour DCNS, Thales, Safran… Un second porte-avions, c’est d’abord un investissement stratégique essentiel et un outil militaire puissant que nous maîtrisons et qui est à notre portée financière. Le qualifier de « dépense totalement inutile » ou d’« instrument de prestige », c’est assurément méconnaître la valeur de la mobilité stratégique aujourd’hui et le nombre de plateformes de ce type en construction dans le monde. Enfin, offrir un outil de coopération sans contrainte de technologie nucléaire et un vecteur d’exportation innovant (Inde, Brésil, Japon), et aussi faciliter le renouvellement ultérieur du CDG à la fin de sa vie.

JD

3 thoughts on “Un second porte-avion

  1. Votre analyse et vos propositions sont tout-à-fait cohérentes et il ne fait aucun doute que le lancement d’un tel projet permettrait d’étoffer notre outil de défense d’une manière significative mais aussi de garder la permanence de notre puissant groupe aéronaval. Espérons un e décision rapide du Président qui ferait preuve contrairement à ses prédécesseurs, d’un véritable courage politique et d’un esprit responsable.

  2. Trop cher. Les PA sont des outils dépassés. Trop vulnérable, Quelques missiles de croisière et torpilles, et c’en est fini. Le GAN est d’aucun secours avec un ennemi déterminé.
    Mieux vaut un SNA nouveau type lanceur de missiles de croisière couplé à un satellite d’observation avec transmission des positions GPRS des targets. Pas de rafales, pas de GAN. Un AWAC ferait aussi l’affaire.
    Le SNA LMC fait immergé une antenne satellite flottante pour les liaisons. Il faut un satellite d’observation conformé pour fournir en direct les targets choisis par le Commandement et sélectionnés par l’Autorité présidentielle.
    Voilà ce que devrait être aujourd’hui puis demain une force stratégique discrète.

  3. Le CDG a été, si je me souviens bien, lancé en 1996, soit il y a plus de 20 ans. Il aura plus de 30 ans en 2027 (les années d’essais entre 1996 et 2000 comptent pour l’usure du bâtiment). Ne faudrait-il pas envisager dès à présent de construire deux PA classiques, comme Foch et Clémenceau, et d’arrêter le CDG en 2027 ? En terme de coût/efficacité, je suis convaincu qu’on serait gagnant : une seule R&D à payer pour 2 PA, et non deux, des installations industrielles rentabilisées, quelques effets série sur certains équipements etc…Ces futurs PA seront actifs jusque autour de 2070 ; il faudrait les concevoir comme des bases insulaires mobiles, bien protégées, déployables sur de longues durées, capables de mettre en oeuvre toutes sortes de plates-formes aériennes, dont des drones de tout genre qui auront très probablement remplacé d’ici à 2050 les plates-formes pilotées. Que sait-on du futur PA US ?

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