Le monde en marche, point à la mi-février 2017

Partageons quelques observations de stratégiste sur le monde actuel. Tous les 15 jours vous le savez, nous nous obligeons à cet exercice d’hygiène intellectuelle d’exposer en six pages ce que nous inspire ce monde en marche. Nous nous contraignons à la synthèse, au regard qui surplombe et à la pensée qui propose, et élaborons non seulement un diagnostic mais aussi de l’action. C’est stimulant mais de plus en plus difficile à faire tant le monde s’emballe. Alors, voilà un point d’étape.

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Quelques constats d’évidence.

  • Nous sommes 7,3 milliards d’habitants sur la planète.
  • La guerre froide s’est terminée il y a 25 ans. 25 ans, c’est le temps d’une génération; la guerre froide, c’est déjà très loin.
  • Nous sommes confrontés à trois défis majeurs : une tempête démographique (la planète se remplit), une forte exigence écologique (y en aura-t-il assez pour tous ?), une mondialisation à croissance faible (la globalisation s’essouffle).
  • Pour y faire face, nous avons une formule magique, un logiciel universel qui tient du miracle occidental : un État modeste qui arbitre, une démocratie parlementaire qui légitime et encadre, une économie libérale qui met le pays en ordre de marche vers la prospérité.
  • Mais, ça ne marche pas ou plutôt ça ne marche plus. De notre tour d’ivoire parisienne, on voit des crises à répétition, de plus en plus graves, et qui nous touchent de plein fouet : crise économique, sociale, politique, religieuse, crises des réfugiés, crise du terrorisme, de la criminalité, héritage corrosif des empires…
  • Voilà qui explique que nous vivons une sorte de fin de cycle, un moment d’incertitude majeure. Nous expérimentons en 2017 une grande mutation, un peu comme le furent pour nous les années 1940, 1960, 1990…. L’équilibre espéré n’est pas au rendez-vous, et après l’incertitude, c’est la précarité domine. La mondialisation n’est ni heureuse, ni vertueuse.

Résumons à grands traits ce qui se passe et provoque ce désenchantement, ce stress général qui affecte nos sociétés en général, et celle des peuples d’Europe en particulier. Faisons-le en 3 temps :

  • Le grand tournant de 2016
  • La double réaction des peuples sur les systèmes et du local sur le global
  • Les points chauds observables.

Avec un peu de prudente prospective pour finir : que faut-il faire ?

1/ Le grand virage amorcé en 2008 a eu vraiment lieu en 2016

La grande glissade amorcée en 2008 avec la crise financière majeure née aux États-Unis s’est terminée par un virage brutal en 2016. La croissance ralentissait, les accidents de globalisation se multipliaient depuis l’accident mortel de Lehmann Brother ; les prémisses s’accumulaient : puissances émergentes regroupées dans la diagonale des Brics, printemps arabes, révolutions de couleur, islam radicalisé, échec du Grand Moyen Orient et de la modernisation arabe provoquant un ralentissement de la croissance des sociétés, dégagement rapide et brutal des régimes autoritaires corrompus, effondrement du cours du baril, multiplication de points chauds avec partout des orages de violence…

C’est en 2016 que des changements décisifs se sont produit et qu’un point de non-retour a été franchi : Brexit, élection américaine, retournement d’alliances multiples, numérisation totale de la politique avec info et cyberattaques … le monde gris qui avait manifesté sa puissance et défié les États se trouvait tout d’un coup montré du doigt.

2/ Tentative de diagnostic

Partout la mondialisation plafonne voire régresse, et cela se traduit par un retour violent du local, c’est à dire par une manifestation forte de la géopolitique profonde des peuples et parfois par la promotion d’une forme d’autoritarisme politique suscité par la défense résolue des intérêts communs des peuples. On s’en est défendu par la qualification dévalorisante de « réaction populiste à une globalisation pourtant inéluctable et à terme bénéfique pour tous».

Or ce n’est pas si simple. Ce n’est pas une crise de croissance de la planète. Ce qu’on observe est en fait autre chose de plus vaste, de plus central qui conduit au tassement de la globalisation.

Cette globalisation a en effet suscité un système profond propre, hors sol, déterritorialisé, transversal, puissant qui s’est affranchi des règles et des projets collectifs, nationaux pour promouvoir ce qui unit entre eux de multiples acteurs transversaux, le pouvoir et l’argent.

Ce système, du fait de sa structure et de sa finalité n’a pas hésité à composer avec les systèmes mafieux et les organisations criminelles. Hier l’idéologie révolutionnaire avait inspiré une internationale triomphante ; aujourd’hui le capitalisme financiarisé a produit un système profond de pouvoir masqué, réparti et prédateur. Sur son chemin, il trouve bien souvent des États gênants.

Ce qu’on a observé en 2016, c’est la révolte des peuples profonds contre ce système profond.

Cela s’est traduit par deux effets dont la combinaison dessine une nouvelle grammaire stratégique sans doute durable et un nouvel équilibre dynamique qui fait sortir le monde du brouillard, 25 ans après la guerre froide.

Ce nouveau système qui s’établit dessine un paysage bien diffèrent du « jardin à la française » de la planète mondialisée post-moderne à laquelle on se préparait.

  • Une nouvelle bipolarité durable entre le système des États, dont la société est incapable de s’organiser en une communauté cohérente et vertueuse, et un système gris de multiples opérateurs transversaux enkystés dans la société mondiale qui défendent leurs profits et imposent leurs pouvoirs. Ensemble ils cogèrent en tension le développement de la planète.
  • Une gouvernance étatique à l’étroit entre des médias et des marchés prescripteurs, nouvelles bourgeoisies qui confinent le politique dans une sphère étroite. Les marges de manœuvre des États s’amenuisent jusqu’à la limite élastique que leur assignent les peuples profonds qui réagissent lorsque leur identité est trop négligée. C’est la nouvelle dialectique de l’impuissance relative d’une démocratie essoufflée face à de fortes oligarchies cartellisées à la légitimité autoproclamée.

C’est ainsi qu’on peut interpréter le retour brutal de pouvoirs autoritaires que plébiscitent des peuples à la longue histoire politique, dont tous ont gardé la mémoire des différentes guerres civiles qui les ont constitués. Ils se sont mis récemment à résister à tous les systèmes qui pour les enrôler négligent leurs intérêts ou leurs besoins directs. Les nations se dressent ainsi contre leurs Etats qui sont contrôlés par un système qui cherche à se passer des peuples qui les constituent.

De là vient peut-être les surprenants succès populaires de V. Poutine, celui de Xi Jinping ou de D. Trump, tous adeptes de la mise au pas des systèmes profonds qui veulent contrôler les États sans hésiter devant la corruption sous toutes ses formes.

D’où les opérations de déstabilisation multiples, « révolutions de couleurs », « Wikileaks », guerres médiatiques, guerres monétaires … D’où l’actuelle « révolte de couleur » menée par le système profond américain contre le président américain en exercice, d’où la crise politique française. La lutte engagée entre les peuples profonds et les systèmes profonds est dopée par l’arrivée à maturité dans la boite à outils de la conflictualité de capacités inédites offertes par la révolution numérique en cours, l’intelligence artificielle et dont les GAFA et leurs rivaux chinois sont les laboratoires. De nouvelles alliances et des compromis pervers se dessinent déjà, de nouveaux pouvoirs s’établissent dont les peuples sont exclus sauf si les États les immunisent et les protègent.

Cette tension d’un type révolutionnaire nouveau affecte profondément la démocratie là où elle est établie et la dévalorise là où elle cherche à s’installer. Elle semble dresser les peuples non contre leurs élites mais contre les différentes formes d’oligarchies qui accaparent ou confinent les États en contrôlant leurs pouvoirs régaliens, argent, justice, sécurité, vérité, sens …

3/ Une nouvelle organisation du monde s’esquisse avec ses points chauds spécifiques

Sous l’effet de cette nouvelle cohabitation perverse entre systèmes gris et États, c’est l’hétérogénéité qui se développe dans une planète qui renonce au modèle unique étatique que promettait cette mondialisation vertueuse qu’avait préparée la Charte des nations unies et avant elle le système westphalien.

Ainsi apparait la décomposition du monde en grandes plaques différenciées, neuf annonçait le géographe Saul B. Cohen, qui va s’organiser chacune avec son centre et sa tour de contrôle régionale et selon des modalités de cogestion entre des forces régionales, étatiques ou non. Restera à la couche d’autorité résiduelle de l’ONU de faire que ces neuf grandes plaques s’accordent dans une compétition/coordination bien régulée sans devenir autant d’empires combattants. On peut estimer que les systèmes profonds y veilleront aussi avec attention, pour sauvegarder leurs intérêts, comme ils le font déjà.

Si l’on se concentre sur « l’EuroAfrique maritime » de Cohen, notre Sud, la cuvette de la Médoc, qui doit être l’objet de notre attention permanente, on constate qu’elle est entourée, cernée, de points chauds qui résultent de ce grand tournant de 2016 qui l’a concernée directement.

  • Au Nord, on observe une disqualification de l’UE que les peuples ont globalement récusée comme expression d’un système profond incarné par la Commission européenne. Après le symptôme de la crise grecque, le Brexit l’a exprimé brutalement. On note aussi la disqualification de l’OTAN écartelé par la question du voisinage entre Russie et Ukraine et de leurs choix sociopolitiques distincts. On observe enfin des crises politiques majeures, en Italie, Espagne et France qui fragilisent les uns après les autres ceux qui ignorent les peuples.
  • A l’Est, des foyers de crise en Syrie, Irak, Égypte, Yémen, liés au choc des systèmes politiques de l’Islam radical avec des sociétés organisées par des pouvoirs militaires ou autoritaires à dérive dynastique et connivence avec le système profond, qui cogèrent avec Israël le vieux problème palestinien qui a ses clés dans des systèmes transversaux lointains.
  • Au Sud, en Libye, au Tchad, au Niger, au Mali, dans le Sahel, une cogestion dangereuse entre des États fragiles et des transversales mafieuses, tribales, radicales, sans équilibre en vue…

Pour conclure provisoirement, dans un tel état du monde, c’est d’abord à son entourage qu’il faut penser. Il faut rechercher des règles de bon voisinage concerté par l’identification d’intérêts communs régionaux lucidement identifiés, et ardemment promus et défendus. Pour cela il faut trouver comment réconcilier les peuples profonds avec les systèmes profonds en assurant la composition d’identités stratégiques régionales complémentaires.

JDOK

One thought on “Le monde en marche, point à la mi-février 2017

  1. Une analyse stimulante d’ou il faut garder l’espoir qu’un monde en transition est peut être mieux qu’une inertie qui tue (. D. Stuckler et S. Basu Quand l’Austérité tue, https://www.amazon.fr/Quand-lAusterite-Stuckler-Basu-David/dp/2746738023).
    Bien vu pour le jeu des mafias ; on peut souligner aussi leur responsabilité dans le crise migratoire à laquelle elles participent en premier lier avec l’aide des Etats UE de premier plan, des média et des l’idéologues globalistes qui aspirent aux chaos en Europe. Un moyen d’ouvrir comme au MO, encore plus les espaces à la prédation de la nature et des humains. Si nous ne sommes pas capables de leur imposer des limites, ils rebâtiront un monde d’esclavage s’appuyant à la fois sur le nazisme (expérience en Ukraine) , l’islamisme radical (lieux multiples!) ou tout autre vecteur de haine.

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