Les guerres du président

Voici un livre qui intéressera tout lecteur curieux de stratégie française puisqu’il expose le tournant guerrier de la présidence de François Hollande. Écrit par David Revault d’Allones, journaliste au Monde, il tire sa source de nombreux entretiens avec la plupart des acteurs : le Président lui-même (quatre entretiens), le Premier ministre, les ministres de la défense, des affaire étrangères, de l’intérieur, de l’économie, mais aussi la plupart des acteurs civils et militaires qui firent la stratégie de la France depuis 2012.

Tout commence par l’intervention au Mali. Ce chapitre est passionnant car il donne les extraits des conseils de défense de l’époque (ce qui surprend évidemment le lecteur devant ces choses qui devraient rester normalement discrètes). De ce point de vue, le livre vient heureusement compléter le livre du général Barrera sur l’opération Serval, montrant le côté politique de l’affaire, notamment que la prise de risque et l’accélération du rythme venaient d’abord de « là-haut ».

Il s’attarde ensuite sur les relations avec Washington : s’agit-il d’un néo-conservatisme à la française, ce que d’aucuns seraient tentés de croire ? de ce point de vue, la posture de Laurent Fabius est emblématique mais F. Hollande semble chercher une position qui ménage à la fois les intérêts diplomatiques et stratégiques avec les pays du Golfe et la mise en avant d’une attitude française de défense des droits, manifestée par l’attitude intransigeante en Syrie face à B. el-Assad.

Pourtant, le président ne s’est jamais vraiment intéressé à la chose militaire, sinon sous des angles exclusivement politiciens (nécessité de faire son service, intérêt pour la manufacture d’armes de Tulle). S’il n’a donc pas une grande culture stratégique ni un intérêt pour les questions internationales, il a trouvé là le moyen de l’action et de l’efficacité, celles qu’il ne trouvait pas dans le champ intérieur. Aussi, l’auteur démontre que ces guerres extérieures sont le moyen de construire l’image présidentielle, celle d’un homme à hauteur de la fonction, à rebours du procès qui lui est fait par l’opposition. Il s’appuie pour cela sur un certain nombre d’hommes de confiance (J-Y Le Drian, le général Puga) mais aussi de faucons (C. Lewandowski) à l’extérieur, M. Valls et B. Cazeneuve à l’intérieur.

Il s’intéresse du coup aux rapports des services, chose rare comparée à ses prédécesseurs. C’est que rapidement le président prend conscience de la continuité entre les opérations (Mali, raid en Somalie, opération Barkhane au Sahel, opération Chamal en Irak-Syrie) et la question terroriste intérieure qui mute brutalement au cours de son mandat. Si l’expression de « guerre contre le terrorisme » est utilisée (rappelant maladroitement le discours bushien), elle vise aussi à montrer le lien entre questions intérieures et extérieures, ce que le concept de « sécurité nationale » n’avait pas vraiment réussi à faire. D’ailleurs, les attentats de janvier sont l’occasion de la manifestation de cette mue (le livre est paru avant les attaques du 13 novembre qui n’ont fait que renforcer le daignostic). Après, plus personne ne fait le procès de la présidentialisation de F. Hollande, qui peut espérer par là avoir une petite chance de se faire réélire.

Si le livre est passionnant par l’ampleur des sources mobilisées, les compte-rendus d’entretiens ou de réunions révélés, il porte l’angle adopté par l’auteur, celui d’une approche de politique intérieure plus que de stratégie. On le voit quand il semble découvrir Clausewitz et les rapports intimes entre la guerre et le politique (p. 49) : au fond, il partage avec le président la même négligence envers la notion de stratégie qui lui semble moins importante que la politique. Comme si « faire la guerre » était une anomalie dans la fonction suprême, cause de l’interrogation à l’origine du livre. Mais Revault d’Allonnes est ici typique de l’élite française qui a toujours considéré ces choses avec un peu de négligence, comme si la guerre appartenait au passé. Il cite ainsi H. Védrine : « François Hollande n’a ni corps de doctrine, ni vision, ni système d’anticipation et d’alerte qui lui permettrait de détecter les erreurs. Il y a juste l’idée que nous sommes la France« . Pourtant, s’il est une évidence, c’est bien celle de ce retour nécessaire à la stratégie.

Voici au fond le principal intérêt de ce livre : montrer la distance qu’il y a entre une pratique et une conception. Révélateur d’un système de pouvoir, ramenant souvent les choses à la politique politicienne, il vaut bien mieux que ce dernier propos et intéressera à coup sûr les lecteurs de la Vigie, qui passeront outre les deux ou trois petites erreurs, comme d’attribuer la formule « la Corrèze avant le Zambèze » à un maire de Tulle (elle appartient au journaliste Raymond Cartier) ou l’emploi d’américanismes comme « délivrer une arme » (mais ici, l’auteur est pardonnable puisque même les communicants » de l’état-major l’emploient sans rougir).

Les guerres du président, David Revault d’Allones, Seuil, novembre 2015, 249 pages, 19 euros.

JDOK

 

 

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