Rumeurs et tractations syriennes

Au cœur de l’été, les rencontres se succèdent et quelques messages émergent. Il s’agit du devenir de la Syrie et pour l’instant, tout se passe à Moscou.

http://www.tunisiefocus.com/wp-content/uploads/2015/08/ben-salman-poutine.png (Le prince héritier et V Poutine, source)

Ainsi, le ministre iranien Zarif a-t-il rendu visite au ministre russe Lavrov mi-août. Leur communiqué commun signale qu’Iran et Russie conservent leur position commune, cherchant une solution politique à la crise syrienne qui ne préjuge pas du destin du président Assad. Cela a l’air tout à fait neutre, mais il s’agit là d’une ouverture importante : de la part de Téhéran et Moscou, si le régime doit être maintenu, le rôle même d’Assad est désormais négociable.

Bien peu d’observateurs, en revanche, ont remarqué que le roi d’Arabie Saoudite, celui de Jordanie mais aussi le ministre émirien des affaires étrangères s’étaient également rendu à Moscou, le 25 août, pour soi-disant visiter une foire aux armements. Aucun communiqué, aucune déclaration publique cette fois-ci ! On annonce en revanche que le roi Salmane a prévu d’aller à Washington très bientôt. Ceci fait suite à une rencontre entre émissaires saoudiens et syriens, toujours à Moscou, le 4 août cette fois (voir ici).

De même, on note la visite du maréchal Sissi, toujours à Moscou, le 26. La Russie et l’Égypte appellent à un vaste front anti-terroriste en Syrie, dit-on à la conférence de presse (The essential importance of creating a broad anti-terrorist front involving key international players from regional countries, including Syria).

Enfin, à la conférence des Ambassadeurs, le président français a appelé à une « neutralisation » du président Assad, ce qui marque une évolution subtile mais attendue du discours français.

Que tirer de ces petits signaux du cœur de l’été ?

Qu’ils s’inscrivent dans plusieurs constats : une ère nouvelle est ouverte par l’accord avec l’Iran, désormais reconnu de facto comme un interlocuteur indispensable ; la panne des évolutions militaires en Syrie est désormais patente : plus personne n’avance, ni le régime, ni l’opposition, ni l’État Islamique ; une discrète évolution de la diplomatie saoudienne qui constatant que ses affidés syriens marquent le pas, s’ouvre sur les Frères Musulmans; l’équilibre libanais se dégrade (la crise des ordures exprime une impasse politique persistant depuis des mois et empêchant l’élection d’un nouveau président, sans même parler d’élections législatives) ; enfin, la fatigue des Alaouites eux-mêmes que révèle l’incident de juillet dernier où un membre de la famille Assad a été arrêté sur pression populaire, après avoir commis une incartade de trop.

Dans ce contexte, l’Iran a l’habileté de se faire discret et de laisser la Russie à la manœuvre. Celle dernière apparaît comme un acteur acceptable par l’ensemble des acteurs, tandis que même les Américains ne verraient pas les choses d’un mauvais œil : une solution à la crise politique syrienne permettrait à tous de concentrer leurs efforts sur l’EI. Le président Obama pourrait alors répondre à ses détracteurs en disant qu’il a une stratégie, à moindre frais, avec l’accord des acteurs régionaux. Quant à la Russie, en apparaissant comme la cheville ouvrière de tractations, elle démontrerait que non seulement elle n’est pas isolée sur le plan international mais qu’en plus, elle compte toujours au Moyen Orient.

Quels augures ?

Constatons que la Turquie n’a pas été mentionnée : il n’est pas sûr qu’elle suivra forcément un accord, il n’est pas sûr non plus qu’elle s’y opposera, surtout si Bachar el Assad est mis de côté. Les enjeux de politique intérieure turque sont aujourd’hui les plus importants pour Ankara, ce qui affectera son approche des négociations. Israël devrait laisser faire. Quant aux rebelles, éclatés, ils devraient écouter leurs multiples parrains.

Rien n’est donc sûr, tout peut dérailler sous n’importe quel prétexte, mais force est de constater que nous sommes en présence d’un alignement de planètes conjoncturel qui rend les discussions possibles et un accord envisageable. Toutefois, il y a loin de la coupe aux lèvres et l’on comprend que toutes ces discussions demeurent pour l’instant fort discrètes.

Quelle forme ?

Un des principes pourrait en être « Assad contre le régime » : autrement dit, on écarterait le clan Assad avec ou sans leur assentiment négocié (Sotchi ou Simferopol ont des climats cléments, paraît-il) mais on laisserait en place un régime d’inspiration alaouite, soutien des minorités et garant des équilibres internes traditionnels de la Syrie permettant de lutter contre l’EI.

De même, on élaborerait un système à la libanaise, avec une sorte de cantonisation du pays, chaque groupe demeurant « maître chez lui » (Alaouites sur la côte, Al Nusrah vers Idlib, Kurdes à l’Est, etc…), Damas devenant un sorte de ville ouverte où chacun vient faire des affaires. Cela résoudrait provisoirement les dangereux débats sur la décentralisation ou la fédéralisation. On mettrait en place une justice transitionnelle clémente, sur le mode africain ou cambodgien.

Ce scénario peut fonctionner à la seule condition qu’Assad lui-même voit préservé l’avènement du modèle de Syrie qu’il incarne et que son clan défend bec et ongles, jusqu’à la guerre totale, contre les insurgés et les différentes forces qui les arment et les soutiennent. Or, rien aujourd’hui ne le confirme, tant il est convaincu qu’en cas d’élections générales, les Syriens le plébisciteraient à nouveau. Conformément à ce qui s’est déjà passé, il pourrait donc continuer à réprimer tous ceux qui dans son entourage seraient tentés par un tel scénario tout comme en prendre sa part et débloquer l’impasse actuelle. On ne peut donc exclure, et on devine que les tractations en cours portent là-dessus, qu’on trouve, avec ou sans lui, des oreilles attentives à Damas pour un tel déblocage. Il faudrait alors les protéger suffisamment pour leur permettre de prendre l’ampleur et l’autorité suffisantes pour définir une nouvelle gouvernance syrienne. Mais ici, ne peut-on pas compter sur les subtilités iraniennes qui pourront faire, en dessous, un travail correspondant aux négociations diplomatiques où elles n’apparaissent pas directement ?

JDOK

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